[cet article sera progressivement enrichi de photos, au fur et à mesure du tri et du développement... En attendant sa finalisation, il reste donc des renvois vers les images.]
Ce 20 novembre 2021, Daniel et moi quittons Uyuni en direction du Sud Lipez. Je suis particulièrement concentré sur ce que je m'apprête à vivre et ne parle pas. Les mêmes pensées et émotions tournent en boucle dans ma tête, de manière ininterrompue. Je pense à Suzanne, restée seule à Uyuni pour soigner sa tendinite. C'était évidemment la bonne chose à faire, mais cela me rend triste : le sud-lipez était l'étape que nous attendions avec le plus d'impatience depuis que nous avons commencer à évoquer notre voyage. Je suis également conscient que je vais découvrir des paysages absolument incroyables, que je n'arrive même pas à imaginer, qui n'existent nulle part d'autre sur notre planète. Enfin, je sais également que cela va être un sacré défi physique; et surtout, que je vais être seul, avec Daniel, dans des étendues quasi infinies, totalement coupé du reste du monde. En bon citadin, c'est la première fois de ma vie que cela va m'arriver, et cela m'impressionne énormément - m'appeure serait plus exact. C'est pour ça que j'ai organisé dans les moindre détails cette étape la semaine passée : "l'organisation en réponse à la peur", comme je l'écrivais à ma famille la veille, à moitié en rigolant.
Premiers coups de pédales en direction du Sud Lipez - © Daniel
Je rumine ces pensées durant toue la matinée. Après une cinquantaine de kilomètres sur une mauvaise route, nous nous arrêtons dans ce qui semble plus proche d'un amas de maisons que d'un hameau. Nous nous collons à un grand hangar - probablement un stade ? - pour récupérer le demi-mètre d'ombre qui nous protégera du soleil qui tape particulièrement fort : difficile de croire que les températures peuvent tomber à -20°C la nuit !
Un peu d'ombre est bienvenu pour déjeuner ! - © Daniel
Je lance mon réchaud et quelques minutes plus tard, mes nouilles chinoises sont prêtes... Mais inmangables. Il s'agit littéralement du "plat" le plus épicé que j'ai jamais mangé de ma vie, loin devant ce bouillon mangé sous un hangar au milieu de la nuit malaisienne, servi par un vieux papy chinois qui m'avait pourtant fait transpirer instantanément. Là, c'est tout bonnement inmangable !!! Après m'être marré en m'imaginant offrir ça à un pote de retour en France, je relance une tournée de pâtes. 2 paquets plus tard, je suis rassuré : je suis parti avec trop de nourriture. Nous réenfourchons nos vélos et continuons notre route. Au bout de quelques kilomètres, bonne surprise ! Une route parallèle vient d'être asphaltée, elle n'est même pas ouverte ! Nous lançons un grand sourire aux ouvriers, slalomons la barrière et les plots de sécurité, et fonçons à toute berzingue. Quel bonheur de rouler sur une route en parfait état ! Ca faisait un baille... Et quand ce tronçon se termine, encore mieux : une route en attente d'être asphaltée : et bien figurez-vous que cela roule encore mieux, une vraie patinoire !! Nous arrivons donc tôt à San Cristobal, sympathique petit village. Après avoir essayé d'entrer, ou tout du moins de s'abriter contre leur "colisé", énorme tâche rouge au milieu du désert, nous rentrons dans le village. Finalement, nous mettrons nos tentes dans l'entrée renfoncée d'un centre de santé : parfaitement abrités du vent, de la place pour nous deux tentes, que demander de plus ?! Nous errons dans la ville, découvrons de l'extérieur une étrange église dont le toit semble être fait de paille, cherchons un pollo broaster : en vain, il est beaucoup trop tôt. Finalement, ce sera nouilles chinoises et au lit !
Le lendemain, après des oeufs et du café, nous décollons. A notre droite trône des montagnes décapitées pour récupérer les précieux minerais : la mine de San Cristobal.
Triste vue que ces montagnes décapitées ! - © Baudouin / Buena Onda
Le paysage devient désertique mais nous continuons à bien rouler pendant une petite soixantaine de kilomètres avant d'arriver, à l'heure du déjeuner, à Villa Alota, véritable village de Far West : perdu dans le désert, organisée autour d'une large avenue centrale en terre, vide. (photo 9972) Nous finissons par trouver une tienda avec quelques bouteilles d'eau puis dégotons une place mignonne à quelques cadras de là avec des bancs en pierre à l'ombre d'arbres, la plaza Alota.
Plaza Alota - © Daniel
Nous continuons à rouler dans ce paysage désertique, mais sur une piste, de nettement moins bonne qualité, avec un peu de dénivelé.
© Daniel
Le paysage change et nous voyons des énormes blocs de pierre au milieu du paysage : impressionnant !
On immortalise ce paysage de western. On notera le élo surchargé d'eau ! - © Daniel
9993 Nous décidons de nous arrêter et cherchons un endroit ou bivouaquer. Daniel quitte la piste et nous dégotte, après ce qui semble être le lit d'un petit ruisseau asséché, un endroit plat au pieds de gros blocs, entre des buissons d'épineux (probablement ici). Par terre, plein de trous. Quand je lui fais remarquer, Daniel me répond : "peut-être des serpents à sonnettes ? On verra si ça siffle cette nuit". Charmant... Daniel escalade en deux-deux un bloc pour y mettre sa go-pro afin de réaliser un timelapse. Nous nous lavons comme nous pouvons et après un dîner rapide, nous nous emmitouflons dans nos duvets : le soleil vient de se coucher et l'air est glacial. Nous filons dans nos énormes duvets - le mien tient les -20°C. CRCE insiste pour que nous n'allumions pas nos frontales : il y a parfois quelques voitures qui passent sur la piste et il s'inquiète, il pourrait s'agir de trafiquants : nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de la frontière chilienne. De toute façon, nous sommes fatigués et nous endormons immédiatement.
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Seuls entre les serpents à sonnettes et les trafiquants ! - © Daniel
Le lendemain, difficile de sortir de la tente ! Nous décollons donc un peu tard (6h45). Ce soir, si tout se passe bien, nous devrions être à la Laguna Hedionda, le long de laquelle il y a un petit hôtel où nous attend notre premier ravitaillement et où nous devrions pouvoir négocier de dormir dans une salle fermée et remplir nos gourdes. Au loin à notre gauche s'élève un mur naturel en pierre cisaillé par les éléments, impressionnant ! Mes photos, prises de la route, ne rendent pas justice au paysage, mais voici quelques photos prises par d'autres voyageurs...
Au loin, on devine un paysage impressionnant... - © Baudouin / Buena Onda
Nous arrêtons deux 4x4 pour leur piquer de l'eau et ainsi reconstituer nos réserves, ce qui nous rassure, les indications du SoutherWesterBolivia PDF n'étant pas des plus précises.
AExtrait de SoutherWesterBolivia, un document initié par Sonya Spry et Aaldrik Mulder, et maintenu à jour jusqu'à 2012
La piste grimpe un peu, contourne un volcan. En toile de fond - mais pas si loin que ça - , de belles montagnes aux monts enneigés et des volcans. Un gros troupeau de vigognes traverse la route en galopant depuis la laguna Turquiri : quelle scène ! J'attends avec un peu d'anxiété le chemin du début de la route des lagunes. Après une petite descente, il apparaît. Nous quittons la piste et nous laissons filer dessus. Le sable tient ses promesses : il nous stoppe net. Il est 11h20. Ca y est, on y est, c'est parti...
Nous poussons nos vélos dans le sable jusqu'au début des traces qui grimpent le long d'un volcan. Daniel monte sur son vélo et s'attaque à ce chemin de sable recouvert d'énormes cailloux. Je m'élance à mon tour. Mon vélo glisse sur les cailloux. Je me dis qu'il ne va jamais tenir, que la roue va se voiler, que l'axe ou le cadre vont casser. Je suis sur les plus petits développements de mon vélo. Mais j'avance et mon vélo tient bon. Un 4x4 de touristes arrive et s'arrête à mon niveau. Le guide ouvre sa fenêtre et me demande ma nationalité. Il me dit d'un air triomphant : "j'avais parié avec eux que tu étais français. Il n'y a que des français pour faire ça !". Ils me donnent deux litres d'eau et repartent. Je continue à pédaler et fini par retrouver Daniel au bout de ce petit dénivelé - il n'y avait qu'une centaine de mètres de dénivellé sur deux gros kilomètres - d'où nous aperçevons un impressionnant plateau, premier apercu de ce qui nous attendra ces prochains jours. Nous nous remettons de cette première montée intense et déjeunons. Une demi-heure plus tard, c'est reparti. Nous descendons et atteignons le plateau, dont Adolfo m'avait donné le surnom qui était celui d'une danse car "ça bouge pas mal", ce que nos postérieurs ont pu vérifier.
Petite pause pour photographier un mini salar sans intérêt... Quelques centaines de mètres avant de découvrir la magnifique Laguna Cañapa ! - © Daniel
Nous continuons à rouler et arrivons enfin à la première lagune, la laguna Cañapa... Quelle émotion ! C'est tout simplement subjugeant. En toile de fond, les volcans et l'immensité du Lipez. Devant nous, la partie asséchée de la lagune, recouverte de sel, offre un contraste saisissant avec les montagnes. Au milieu, des dizaines de flamands roses cherchent de la nourriture dans les eaux peu profondes de la lagune. Je suis émerveillé et très ému : les paysages que je vois depuis quelques heures sont probablement les plus beaux qu'ils m'aient été donné de voir de toute ma vie. J'aimerais tellement pouvoir partager ça avec Suzanne et ma famille !
Lien Google Earth vers la laguna Cañapa.
Premier aperçu de la laguna Cañapa - © Baudouin / Buena Onda
Vue partielle de la laguna Cañapa - © Baudouin / Buena Onda
Vue partielle de la laguna Cañapa - © Baudouin / Buena Onda
Vue partielle de la laguna Cañapa - © Baudouin / Buena Onda
Nous nous arrêtons pour en profiter pleinement et prendre des photos puis finissons par repartir : il nous reste un peu de route et, même s'il est tôt, je prends des (très grandes) marges de sécurité : l'idée de devoir dormir au milieu de ce désert en cas de pépin me rend anxieux. C'est ridicule, nous avons déjà dormi dans des lieux plus haut et encore plus isolés, mais le Lipez m'impressionne tout particulièrement. Le terrain est défoncé, commence à devenir plus sableux, c'est dur... Pour ne rien arranger, le vent se lève et nous freine. Je me mets dans les traces de Daniel, que j'essaye de garder dans mon champ de vision. Sans surprise, il avance avec plus de facilité que moi.
Ca y est, j'aperçois un bout de la laguna Hedionda ! - © Baudouin / Buena Onda
Ca y est, j'aperçois un bout de la laguna Hedionda ! - © Baudouin / Buena Onda
Je finis par arriver à la laguna Hedionda. Quelle merveille ! Encore une fois, ces superbes montagnes en toile de fond. La lagune, ici, est par endroit bleue, par endroit verte, par endroit rouge ocre. Ici aussi pataugent des flamands roses.
La laguna Hedionda et ses couleurs incroyables ! - © Baudouin / Buena Onda
Sans mot... Mais le doigt qui n'arrête pas de déclencher ! - © Baudouin / Buena Onda
© Baudouin / Buena Onda
© Baudouin / Buena Onda
Je rejoins Daniel à l'ecolodge Flamencos Altiplano. Sans surprise, l'hotel est totalement vide. Seuls deux gamins qui font leur service militaire et qui sont censés être dans un cabanon de quelques mètres carrés que nous avons vu avant travaillent (?) ici le soir. Je récupère mon ravitaillement puis nous négocions âprement le droit d'installer notre campement dans la salle du petit déjeuner. J'arrive même à obtenir, à force de discussion, le code du wifi qui me permet non sans peine d'envoyer un message à Suzanne, qui relaiera à ma famille. Nous profitons des quelques heures qui nous restent pour profiter de cet incroyable paysage et évidemment, prendre des photos. La nuit tombe et je sors profiter de l'incroyable ciel que nous avons grâce à l'altitude et la très faible pollution lumineuse.
Photo
Cette nuit et quasiment depuis la première fois depuis le début du voyage il y a 4 mois, j'aurai le sommeil agité et serai réveillé à 2 heures du matin. Le Lipez me fait ruminer, jour et nuit !
Nous nous réveillons tôt et profitons du lever de soleil sur la lagune, qui fait rougir les volcans.
PHOTOS
Puis nous petit-déjeunons copieusement grâce aux vivres que l'agence m'a déposé. Malgré cela, j'ai faim avant même de mettre le premier coup de pédale ! Notre étape du jour doit nous permettre d'atteindre un des rares hôtels de la région, où nous comptons demander à dormir dans une remise. Ca commence dur : nous roulons sur du caillou - nous nous sommes trompés de chemin au départ. Nous longeons deux lagunes, puis au détour d'un virage, le désert apparaît, encadré par des montagnes marrons. C'est magnifique... Mais anxiogène à vélo ! Et si nous n'arrivions pas à l'hôtel ?
Nous arrivons à rouler, doucement, le long de la pente douce, dans ce corridor de sable. Seuls quelques lamas intrigués viennent à notre rencontre.
192, 199, 200, 207, photos lamas
Nous finissons par dépasser l'arrête que nous avions en ligne de mire depuis le début de la matinée, et nous arrêtons peu après pour déjeuner rapidement. Ca devient de plus en plus difficile de pédaler. Nous poussons beaucoup nos vélos et je me sens faible. Nous finissons par arriver au Cañon de las Vizcachas. Nous continuons à pousser nos vélos au milieux des caillous, de la boue, du sable. Daniel, plus à l'aise, est loin devant. Une voiture de militaire qui patrouille (nous sommes à 2 ou 3 kilomètres de la frontière chilienne) s'arrête : "que faites-vous ici ?!" "Je visite, à vélo..." Les militaires s'arrêtent, et sans que je demande quoi que ce soit, me donne des bananes et me remplissent mes gourdes. Sympa ! Mais j'ai peur qu'ils posent la même question à Daniel, et lui est entré illégalement en Bolivie...
Un vent à décorner les boeufs souffe maintenant. A la sortie du canyon, nous devons monter sur une dune. C'est dur !! Mais le plus dur, pour le moral en tout cas, est de devoir pédaler... dans une pente. Le sable et le vent combinés m'y oblige. Cerise sur le gâteau, Daniel, à qui j'ai pourtant dit deux fois dans la demi-heure précédente que nous devrions bientôt tourner à droite, n'a évidemment pas regardé et a continué tout droit. Je le retrouve en bas, à un poste militaire vide, entouré de barbelé. Aucun moyen de s'abrîter du vent ici. Je suis épuisé et très, très énervé : nous pouvions être au chaud dans un hôtel et par son inadvertance, nous voici dans un endroit très exposé au vent, la promesse d'une mauvaise nuit. Et je n'ai absolument pas le courage de remonter la pente, dans le sable, avec nos vélos chargés. Daniel se sent bête et monte la petite dune d'à côté pour essayer de voir où se situe l'hôtel. Par chance, il le voit, et le chemin pour y aller est plutôt plat. Ouf, sauvés ! Nous arrivons donc à l'hôtel Tayka El Desierto. Marco, qui le gère, est très sympa. Il nous offre les oeufs que nous comptions lui acheter, accepte que nous dormions par terre dans la chambre réservée aux conducteurs, qui est vide. Nous avons accès à des douches très chaudes et il a même un tout petit peu de wifi, suffisamment pour que j'appelle quelques minutes Suzanne. Dans ce bâtiment, nous croisons un militaire gradé, qui semble avoir ses habitudes ici. Je l'imagine dormir paisiblement au chaud pendant que ses soldats se pèlent dans le poste vétuste que nous avons vu juste avant... Nous dînons sur les marches du bâtiment, en regardant le magnifique désert qui nous attend demain. Paysable irréel... Nous installons nos matelas gonflable par terre, entre deux lits, avant de nous raviser : la chambre est vide, profitons en ! Nous mettons nos duvets sur un vrai lit. Ca fait bien longtemps !
Ici, ici, ici et ici , quelques belles photos prises par des voyageurs depuis l'hôtel et partagées sur Google.
Le lendemain, lorsque je me réveille, je me sens étonnamment en forme. Je regarde l'heure : 6 heures !!! Oui, Daniel avait bien mis un réveil - il voulait faire un timelapse du lever du soleil - mais n'a pas jugé bon de me réveiller. Il parle aussi mal l'anglais que je parle l'espagnol :la communication n'est donc pas des plus aisée... Il est donc prêt à partir ! Mais finalement m'attend. Je suis rapidement prêt, et nous sortons de l'hôtel. Le ciel est d'un superbe bleu, nous faisons face à ce magnifique désert, à perte de vue. A droite, les montagnes qui séparent la Bolivie du Chili sont ocres avec des teintes vertes. Mon dieu, que c'est beau ! A gauche, d'autres montagnes nous bordent. Nous filerons plein sud. Aux traces de 4x4 que nous voyons dans le sable, il semble y avoir trois stratégies pour traverser le désert. Elles vont toutes aux mêmes endroits, mais sont éloignées chacune d'environ 500 mètres. Evidemment, je me demande si certaines traces de 4x4 sont suffisamment tassées pour que nous ne galérions pas trop. Evidemment, Daniel s'en fout, me sort sa devise, "Cool Relax Chill Enjoy" et file. Nous nous retrouvons donc à pédaler sur ce qui nous semblait une piste mais qui n'en est clairement pas une. C'est dur. On avance lentement, quand on avance. Le sable freine, et parfois nous stoppe. Et se relancer est encore plus dur. Je suis bien sûr sur mon plus petit développement - que j'ai pris toouuuutt petit, 1.22, et la roue arrière n'accroche pas sur le sable. Quand ça finit par le faire, il faut vite essayer de prendre "de la vitesse" - tout est relatif hein - sous peine de remettre pied à terre, ce qui m'arrive 3 fois sur 4. C'est particulièrement cardio, et donc épuisant.
Au bout de plusieurs heures, le désert commence à s'aplatir, et la teinte tourne au rouge. Nous voyons finalement, au milieu de rien, un panneau qui nous indique que nous rentrons dans la réserve Eduardo, et après une petite descente, nous découvrons un nouveau paysage. A nouveau, 3 traces de 4x4. A nouveau, nous prenons la centrale, sans réfléchir. Ca ne change probablement rien... J'essaye tant bien que mal de pédaler dans la roue de Daniel. Il se décale régulièrement de quelques dizaines de centimètres. Je ne sais pas pourquoi il fait ça ni même si c'est volontaire, mais j'essaye de faire la même chose. Je fixe obstinément sa trace, qui m'indique notamment quand il a dérapé. Alors, je tente ma chance un peu plus à gauche ou un peu plus à droite, généralement sans succès. C'est dur. Nous finissons par dégoter ce qui est ou bien un très, très vieux reste de maison - au milieu d'absolument nul part.... - ou bien un windbreaker très sophistiqué - où nous arrêtons pour déjeuner, sous un gros soleil et un vent qui commence à devenir fort. Il doit être aux alentours de 12h30. Nous avons mis notre premier coup de pédale à 6h30, et nous avons parcouru 20 kilomètres, soit une vitesse moyenne de 3,5 km/h....
Mais qui donc a pu construire cette maison, au milieu d'un désert où la température tombe à -25°C l'hiver ??? - © SoutherWesterBolivia PDF
Après un rapide déjeuner, nous repartons. Le vent s'est levé, il est extrêmement fort. Heureusement pour nous, aujourd'hui, nous ne l'avons pas de face, mais de côté. Mais cela reste une véritable galère d'avancer. Nous essayons de pédaler, mais nous n'y arrivons pas. Alors, faute de pédaler, nous poussons beaucoup nos vélos, les bras tendus, quasiment horizontaux. Nos vélos sont lourds, le sable nous freine, même pousser son vélo est physique. Nous continuons ainsi et grapillons, chaque heure, quelques kilomètres. Je finis par arriver un peu après Daniel à l'Arbol de Piedra, notre étape du jour, 10 kilomètres seulement après l'endroit où nous nous sommes arrêtés déjeuner. 4 4x4 sont là. Lorsqu'ils me voient arriver, les touristes me regardent avec effaremment. Je suis recouvert de poussière et je pousse mon vélo comme un zombie. Je demande à un chauffeur à boire et il me sert gentimment un coca. Du sucre, parfait ! Le vent fait tomber mon vélo mais je ne sourcille pas. Fatigué.
Un autre chauffeur vient à ma rencontre avec une bouteille d'eau. Une touriste descend même du 4x4 pour me donner des bananes et du pain au miel. Puis nous cherchons un endroit à peu près abrité du vent pour y mettre nos tentes. Le site n'est qu'un groupe de cailloux au milieu du désert, et si les éléments n'avaient pas donné à l'un d'entre eux une forme étonnante, personne ne s'y intéresserait. Nous plantons notre tente contre le caillou mitoyen à l'Arbol de piedra, qui a un espèce d'angle droit concave. Les touristes partent. Il doit être 17h30 quand nous dînons rapidement car l'air est glaciale. J'explique à Daniel que j'aimerais attendre Suzanne à la laguna colorada, que nous devrions atteindre le lendemain midi, pour lui faire la surprise, et découvrir les dernières merveilles de la route des lagunes avec elle, ce qui passe moyen. A 18 heures, le soleil passe derrière la montagne. Nous admirons frigorifiés l'incroyable coucher de soleil et filons nous réchauffer dans nos duvets. Je n'ai pas le courage de me lever au milieu de la nuit pour admirer le ciel étoilé au dessus de l'arbol de Piedra. Je ne l'aurais fait qu'une fois, sur le Salar d'Uyuni ! Pourtant, nous sommes dans une des régions avec le ciel le plus pur et je rêvais d'observer la voie lactée dans ce coin du monde depuis longtemps. Mais, tout les jours, la fatigue et le froid ont raison de moi, et j'ai la chance de ne pas me réveiller la nuit...
(PHOTOS COUCHER SOLEIL)
Au réveil, nous avalons un café pour tenter de nous réchauffer, prenons quelques photos de l'arbre puis attaquons notre matinée. Du sable, du sable, du sable. Comme les jours précédents, je suis en mode mécanique, le regard fixé sur la trace laissée par Daniel, que j'essaye d'emprunter. Comme les jours précédents, nous dérapons, avons du mal à nous relancer, poussons nos vélos (enfin, surtout moi). A un moment, le paysage s'ouvre, et nous nous retrouvons dans une plaine (de sable, faut-il le préciser ?); le changement de décor est impressionnant ! Puis nous commencons à apercevoir la lagune, blanche de loin. La galère continue mais nous finissons par arriver sur les coups de midi et sous un soleil de plomb, à la laguna colorada.
Daniel veut passer discrètement pour éviter de payer les droits d'entrée du parc mais je l'en dissuade. De toute façon, de la nourriture nous attend au poste de contrôle ! En attendant qu'un garde y revienne, nous nous abritons du cagnard sous un bâtiment en construction qui semble destiner à accueillir des touristes et déjeunons. Le garde finit par arriver, et nous pouvons discuter avec lui de distances. L'après-midi a déjà commencé, et nous sommes rincés des derniers jours; Daniel décide donc de se reposer cette après-midi et de faire demain la fin de l'étape d'aujourd'hui et celle initialement prévue demain !! De mon côté, j'essaye de joindre Suzanne et l'agence : je suis à un des rares endroits où l'on peut espérer envoyer un texto - absolument inutile d'essayer de capter internet ! En effet, parfois, au gré de je ne sais quoi, mon téléphone arrive à capter le minimum pour que mon message parte. Suzanne ne sait pas que je vais l'attendre à la laguna Colorada et hésite à partir le lendemain ou le surlendemain. Cette dernière option ne colle pas avec les plans que j'ai soumis à Daniel mais j'arrive à la convaincre de partir le lendemain. L'après-midi s'écoule lentement. Nous discutons avec le garde, qui dans une autre vie a été boulanger au Chili. Il travaille 20 jours de suite, puis a 10 jours de repos. Seuls 4 4x4 passeront au poste de contrôle cette après-midi, soit 10 fois moins qu'avant la pandémie. Avec seulement une quinzaine de passeports à vérifier, perdu dans ce désert si impressionnant, sans aucune connexion au monde, avec une "chambre cuisine sombre" et un bureau, le temps dois lui paraître bien long... Nous dînons avec le garde (pâtes déshydratées, of course !) qui nous propose de dormir dans son bureau, ce que nous acceptons avec plaisir !
Quand je me réveille le lendemain, Daniel roule depuis longtemps. Il me dira après avoir mis son premier coup de pédale à 5 heures du matin. De mon côté, j'attends patiemment Suzanne qui doit arriver entre 16 et 17 heures. Après un café avec mon hôte, je me ballade jusqu'au premier mirador de la laguna colorada. Quelle étrange sensation que de marcher !!! La lagune n'est que légèrement rouge. En effet, il faut à la fois du soleil et du vent pour que le phénomène s'active; c'est donc généralement entre 13 et 17 heures que les couleurs sont les plus vives... Mais c'est déjà très beau ! Je prends quelques photos de la lagune, des flamands, des cigognes. J'écoute en boucle les quelques morceaux que j'ai sur mon téléphone - Aznavour, Brel et Ferré -, assis face à la lagune, tranquillement, seul au monde. De retour au poste de contrôle, je commence le tome 2 de la trilogie d'"A la croisée des mondes", "la tour des anges". Vers midi, le ciel s'assombrit fortement et le vent du nord se lève brusquement. Si le vent chute en début d'après-midi, la luminosité est faible. Je suis un peu triste pour Suzanne, qui doit être en train de découvrir la laguna Hedionda; la lumière sublime tellement ces couleurs ! Le début de l'après-midi alterne entre lecture et ballade. A 13 heures, je recois un texto de Daniel qui est arrivé ! Sans surprise, il n'a pas chômé... Quelques heures plus tard, un 4x4 s'arrête au poste de garde. Suzanne rentre dans le petit bureau et ne me voit qu'au bout de quelques secondes, surprise de me trouver là ! Nos retrouvailles sont émouvantes et Adolfo (le super guide) et le garde partagent notre joie. Nous chargons le vélo sur le toit du 4x4 et filons aux 2 miradors pour admirer la lagune, dont le rouge est moins flamboyant que d'habitude... Fichus nuages ! Puis Adolfo nous conduit à Huayajara, hameau de quelques "maisons-auberges" tellement petit qu'on ne le trouve pas sur google maps (!! Mais vous le trouverez sur OpenStreetMap....). C'est ici qu'a grandi notre chauffeur et ses soeurs. Nous sommes d'ailleurs dans l'auberge de son oncle et de sa tante. Petit thé, puis dîner mythique : soupe aux légumes et aux frites, salchichas (saucisses)-frites-oignons... Et vin rouge ! Cela fait des mois que nous n'avions pas bu de vin ! Puis nous filons au lit.
Le lendemain, le réveil sonne à 5 heures. Après un bon petit déjeuner, nous filons voir le "Sol de Mañana", une zone d'activité géothermique où l'on peut voir geysers, fumerolles et mares de boue fumantes. Nous marchons dans ce décor sur-réel, moi avec mon appareil photo, Suzanne avec son enregistreur. Quand je relève la tête, je ne vois plus Suzanne. Alfonso est aussi surpris que moi. Nous l'appelons, mais aucune réponse. Je vois Adolfo prendre peur et nous cherchons Suzanne de plus belle au milieu des jets de vapeurs et du magma de boue. Pour la trouver, au bout de quelques minutes, accroupies auprès de l'une d'entre elles, enregistreur à la main. La passion du son ! Puis nous filons aux termes de Polques. Avantage du covid, nous sommes les seuls. Je me glisse dans les eaux fumantes et profite d'un panorma incroyable. A quelques dizaines de mètres, des vigognes paissent. En toile de fond, les montagnes, évidemment. PHOTO. Un vrai bonheur ! Nous filons en suite en direction du volcan Licacanpur. Nous traversons d'abord le désert de Dali, clairesemé de rochers. Le ciel est d'un superbe bleu, les couleurs magnifiques. Nous arrivons enfin à notre destination, les lagunas blanca et verde, à quelques mètres l'une de l'autre, au pied du volcan Licacanbur. Sans surprise, le vent y souffle violemment. Les retrouvailles avec Daniel sont émouvantes, et le paysage subjugeant. Nous en prenons plein les mirettes, profitons pleinement de cet instant unique, prenons également quelques photos pour immortaliser cela, avant de charger le vélo de Daniel et de repartir à Huayajara où nous engloutissons des "milanesa de pollo" avant de repartir. Le ciel est bleu, le vent souffle fort : la laguna colorada doit-être magnifique !! Nous demandons à Adolofo s'il est possible d'y faire un rapide détour, ce qu'il accepte. La lagune est rouge vermillon, c'est impressionnant ! Puis nous revoyons l'Arbol de Piedra, avant de bifurquer sur un itinéraire différent de l'aller. Nous y découvrons d'autres lagunes (Cachi et Pastos Grandes), aussi sublimes que les précédentes, dans des paysages encore plus froids. Petit arrêt photo et nous filons sans pause à Uyuni. Nous profitons à fond des dernières heures dans le Lipez. 7 heures après, nous sommes de retour à Uyuni. Quelle sensation bizarre que de parcours en 7 heures et sans aucun effort un chemin que nous avons fait en 6 jours et qui nous aura épuisé !
Ce soir là, nous fêterons cette belle aventure dans l'excellent restaurant de l'hôtel "les jardin d'Uyuni".
Epilogue
Et si c'était à refaire ? Je le referais, sans hésiter une seconde !
Comme souvent, la réalité est moins incroyable que le fantasme. Il est possible d'organiser ses étapes de manière à avoir un point de ravitaillement d'eau tout les deux jours maximum (et généralement un). Et maintenant que la zone est très touristique, la probablité de croiser des 4x4 à qui vous pourrez piquer quelques litres d'eau - hors période de pandémie, of course - est assez élevée.
Niveau sécurité : avec un smartphone chargé, impossible de se perdre, même dans un désert ! Et pour ceux qui ont la crainte de se blesser et de ne pas pouvoir alerter qui que ce soit, il est possible de suivre les pistes les plus utilisées - encore une fois, en période touristique. Les plus anxieux pourront se doter d'un téléphone/balise GPS, comme Daniel.
Une fois ces craintes écartées, il ne reste que la difficulté à pédaler dans le sable. C'est fatiguant, c'est épuisant, mais ça en vaut le coup ! Et in fine, nous avions toujours fini nos journées vers 16 heures. Des journées "normales"... Si l'on ne regarde pas sa vitesse moyenne !