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Fjords et randonnée : notre troisième semaine au Chili

Nous avons quitté Cochrane, dernière petite ville de la région, le 2 février. Les deux journées de route qui suivent sont plutôt sportives avec, toujours, un beau dénivelé à avaler (dire qu'on s'était imaginé la Patagonie plate… mais pourquoi ?!) et des paysages de forêts et de lacs qui nous émerveillent. Nous dormons une première nuit au bord d'un affluent du rio Baker, sur une large plage de cailloux clairs. Le lit du fleuve est large et paisible, le ciel, vaste, se colore de rose à la tombée du jour. La nuit suivante, après une journée remplie de pentes raides et de soleil, nous plantons nos tentes littéralement à 5 centimètres l'une de l'autre, sur un petit sentier herbeux au bord d'une rivière. La troisième nuit, c'est dans une ambiance plus forestière que nous passons la soirée, sous de grands arbres avec, en contrebas, la rivière. Une petite chienne couleur caramel, fort maigre, est ici. Elle nous suit à la trace et se tapit au sol dès que nous faisons un mouvement brusque. Elle a sans doute été battue avant d'être abandonnée... La pauvre est affamée : nous partageons notre ration de pâtes avec elle. Nous sommes rejoints par quatre étudiants suisses qui sillonnent le continent sur des vélos en bambou. Ils ont un chouette projet : l'astrophotographie ! Ils transportent en effet du matériel photo lourd et encombrant, mais qui leur permet de photographier étoiles et voie lactée. Leur projet (et leur compte Instagram) s'appelle Riding the Milky Way. Joli !

4 février : c'est parti pour notre dernier jour de vélo avant un petit moment. Nos amis suisses ronflent encore lorsque nous partons. Cette dernière partie de route jusqu'à Puerto Yungaï monte sec et a des airs de bout du monde avec un côté étonnamment tropical : le chemin, en pente raide, est enclavé dans la montagne dont les pentes sont recouvertes d'une abondante végétation à la tonalité exotique. Nous apercevons même quelques colibris ! Plusieurs cascades coulent entre les plantes. Il fait très chaud et les lacets sont serrés, la piste caillouteuse. Mais, contre toute attente, la montée passe plutôt vite (peut être grâce aux crackers que nous avalons tous les 200 mètres). Les Suisses nous rejoignent bientôt et nous dépassent. Nous finissons par les retrouver en haut d'une autre montée et nous nous installons sur un gros tronc d'arbre couché sur le côté pour sortir les réchauds. Est-il besoin de préciser que nous mangeons des pâtes ? Mais recouvertes de parmesan. L'après-midi, c'est reparti pour une quinzaine de kilomètres. Nous faisons une halte pour remplir les gourdes au niveau d'une grosse cascade. Pour cela, il faut mettre les pieds dans l'eau : je me dévoue, contente de pouvoir me rafraîchir un petit peu. Elle est glacée !

Puerto Yungaï est un endroit minuscule : une plage de petits cailloux, un embarcadère auquel sont amarrés deux ferries sur lesquels montent voitures et piétons. L'un fait les allers-retours, en deux heures, jusqu'à Villa O’ Higgins, où se trouve la fin officielle de la Carretera australe. L'autre, plus spacieux, partira demain soir pour une traversée de 44 heures jusqu'à Puerto Natales. C'est le nôtre. La seule boutique est une petite tienda tenue par un couple peu souriant : ils y vendent des biscuits, sucreries, sandwichs et boissons aux voyageurs, à des prix élevés. Le soir venu, après plusieurs parties de coinche endiablées brillamment emportées par les garçons (Maria, maître en la matière, me coache), nous plantons la tente sur la plage. Baudouin et moi voyons un petit monticule relativement proche de l'eau. Idyllique, mais nous nous inquiétons de la marée : l'eau risque de monter, non ? Sans trop réfléchir (erreur), nous regardons, avec Maria et Mitch, le bateau amarré. Le niveau de l’eau n’a pas bougé depuis notre arrivée : "Pas de risque !". Or, en pleine nuit, sur les coups de 2 heures du matin, je suis réveillée par le bruit.. de l’eau. "Baudouin, l'eau !" Elle est en effet à… 20 centimètres de la tente et notre monticule est… encerclé. Nous sommes réactifs. Taïaut ! Nous sortons de nos duvets comme des éclairs, chaussons nos sandales et transportons la tente remplie sur la berge, marchant au passage dans l'eau froide qui nous arrive à mi-mollets. Quelques allers-retours rapides sur notre monticule bientôt immergé et nous avons toutes nos affaires. Ouf ! Nous rions beaucoup… Et avons l'air ridicules. Quelles andouilles !! Même ce n'est pas si drôle : à 10 minutes prêt, la tente prenait l'eau. Bon, cette mésaventure nous aura au moins donné l'occasion d'admirer le ciel étoilé, absolument incroyable…

Le lendemain, nous avons toute la journée devant nous avant notre embarquement, prévu en début de soirée. Nous pensions nous baigner, mais une petite pluie fine et drue nous oblige à replier nos affaires, direction le petit hall en bois destiné aux voyageurs. Nous déjeunons de sandwichs frits (si si) très gras et papotons avec quelques voyageurs qui arrivent doucement pour prendre le bateau : vans, voitures, motos (dont un élégant italien qui parle parfaitement français) et deux cyclovoyageurs chiliens. Nous finissons par embarquer : nos vélos sont stockés dans un container et nous pouvons prendre place à l'étage. Le bateau est très confortable avec des sièges moelleux, des douches et un bar en bois. Au rez-de-chaussée, il y a la cantine et nous flairons avidement les effluves du dîner…

La traversée jusqu'à Puerto Natales va durer près de 44 heures et nous passerons deux nuits sur le bateau. Nous faisons la connaissance de Liv, cyclo-voyageuse suisso-norvégienne fort sympathique, assise juste à côté de nous. Nous partageons nos repas tous les cinq. La vie à bord est tranquille, les nuits courtes : nous admirons la vue sur le pont. Le bateau évolue dans un paysage très sauvage, qui ne semble pas du tout touché par l'homme : d'immenses fjords aux eaux sombres qui serpentent au milieu d'un véritable archipel d'îles et îlots recouverts de végétation dense, de brume et, pour les plus grands, de hauts sommets et de glaciers d'où coulent de longues cascades. C'est très mystérieux et fort impressionnant. Là, nous nous sentons vraiment au bout du monde. Les passagers contemplent en silence, espérant apercevoir des animaux. Et en effet, le commandant invite tout le monde à venir admirer trois orques qui nagent un peu plus loin ! Nous apercevons aussi de nombreuses otaries, qui paressent sur les rochers et quelques dauphins qui jouent avec les vagues du bateau. Nous ferons une seule halte, à Puerto Eden, seul petit village du coin, avec ses maisons colorées sur pilotis et ses pontons de bois perdus dans le brouillard. Quelques autres passagers embarquent, le bateau débarque plusieurs caisses de nourriture et embarque des dizaines de casiers remplis d'algues brunes utilisées en parfumerie qui sentent fort.

Le 7 février, après le déjeuner, le paysage change et nous apercevons Puerto Natales. Excitation ! Les îlots recouverts d'arbres font place à un paysage plane, venteux, aux couleurs jaunes. La Patagonie, la "vraie", vous diront les habitants. Nous sommes heureux de débarquer, donnons rendez-vous à Liv pour un repas ensemble le lendemain et partons au nord de la ville, direction l'hostel où j'ai réservé nos chambres : Redpoint Patagonia. L'endroit est tenu par un Chilien et une Néerlandaise, Ruth, avec leur petit garçon. C'est un repaire de backpackers cools et de fanas d'escalade puisque derrière la petite salle d'accueil se trouvent des blocs ! La salle principale, en bois, est très conviviale : grande cuisine, table en bois, poêle autour duquel nous pouvons boire un thé chaud. Sur les murs, de grandes cartes de la Patagonie. Le pied. Nous discutons avec des Chiliens, un accordéoniste colombien et un Costa-ricain de passage. Nous passons deux jours à Redpoint, histoire de nous reposer et de préparer notre randonnée dans le fameux parc Torres del Paine ! Mention spéciale aux pizzas cuisinées par Mitch et Maria, un pur délice.

10 février : sacs à dos de location bien remplis sur le dos (matériel de bivouac + 4 jours de nourriture), nous prenons le bus de 7 heures direction Torres del Paine, qu'il nous tarde de découvrir. Au programme : la randonnée W, qui doit durer jusqu'au 13 fin de journée. Nous avons décidé de réaliser cette randonnée dans le sens contraire, soit d'ouest en est, pour garder les fameuses tours, les torres, pour la fin. Et avoir moins de monde sur les sentiers. Le planning de cette première journée est minuté : vers 10h30, le bus nous dépose au niveau de l'embarcadère d'un catamaran qui nous fait traverser un grand lac aux eaux, encore une fois, bleues turquoises. Le vent souffle comme jamais ! Le paysage est rude, montagneux, avec des reliefs incroyables : c'est sublime. Nous arrivons au premier camping, Paines Grande, en fin de matinée et installons la tente bien à l'abri du vent avant d'avaler trois sandwichs au salami chacun et de prendre enfin la route de la première merveille que nous réserve le parc, le somptueux glacier Grey. A Torres del Paine, il est interdit de planter sa tente ailleurs que dans les campings officiels, où le seul emplacement coûte cher (entre 15 et 30 euros par personne…). Pour un lit en dortoir qui sent la chaussette, comptez…. 130 euros ! Et puis la réservation des campings doit être effectuée en amont : un vrai casse-tête. Mais nous y sommes. Revenons au glacier Grey, notre objectif du jour : il faut entre 6 et 7 heures aller et retour pour atteindre le refuge qui se trouve au niveau du glacier. Sachant qu'il est 12h30 et que le vent souffle diablement fort, nous visons plutôt quelque-part entre le mirador et le refuge, à 2 heures de route. Nous montons doucement dans la forêt, la plaine et les cailloux quand soudain, merveille : le glacier ! Il s'étend, au loin, immense, entre deux pans de montagne, sur un lac aux eaux balayées par les bourrasques. Baudouin, valeureux, décide de poursuivre encore une bonne heure pour s’en approcher encore plus. Mitch, Maria et moi sommes groggys par le froid et le vent et il nous reste encore quasiment trois heures de marche pour retourner au campement. Nous rebroussons chemin ! Le soir venu, fatigués, nous nous réfugions dans la salle commune du camping, en bois, seul endroit où il est autorisé de faire fonctionner son réchaud à cause du vent et des risques d’incendie. Un peu inquiète, je n’arrête pas de regarder par la fenêtre espérant voir Baudouin rentrer, d’autant que le jour décline. Il va finir par arriver, épuisé mais ébloui, tandis que je m’installe dans la tente.

Les trois journées suivantes sont une succession d’éblouissements et de moments de fatigue : théâtres de roches et de monts déchiquetés sculptés par les millénaires et les vents, glaciers immenses au détour d’un chemin, grands lacs bleu azur à la surface desquels le vent fait onduler des vagues, dénivelé copieux, mollets fourbus, forêts au sol moelleux sous la chaussure qui sentent bon le conifère, ponts au-dessus de rivières, champs couleur d’or, perspective sur les collines à l’infini… Mention spéciale pour le camping de la deuxième nuit, installé à flanc de montagne et traversé par un grand escalier en bois ! Comme il y a eu un problème avec notre réservation, nous avons droit à des emplacements de dépannage tout en haut du site, sur le sol jonché d’aiguilles de pin et sous les grands arbres dont les branches tanguent au rythme des bourrasques. Bucolique, mais… penché !! Baudouin devra s’y résoudre, nous dormirons en pente et donc, mal ! Nous dégustons nos pâtes chinoises au parmesan avec Mitch et Maria, abrités du vent, l'œil un peu absent après les splendeurs et la fatigue de la journée. Le lendemain, longue journée de marche, droit devant, le long d’un lac aux allures de bras de mer, avec des plaines parsemées de fleurs qui rappellent la flore des alpages. Mitch et Maria ont pris de l’avance. Nous marchons et déjeunons tous les deux en pleine nature, émerveillés !

La dernière journée à Torres del Paine est consacrée à l’ascension vers les fameuses Torres, trois imposants monolithes de granit qui se méritent : longue ascension le long du “camino del diablo” à flanc de montagne, donnant, en contrebas, quasiment à pic sur la rivière, sur un passage étroit où le vent souffle parfois si fort que l’accès est fermé. S’ensuit une longue et douce ascension dans la forêt puis, le bouquet final, une montée qui me semble interminable au milieu de grosses caillasses. Ne pas regarder en bas, ne pas regarder en bas… Nous pique-niquons tous les quatre bien emmitouflés devant les Torres qui surplombent une lagune bleue turquoise : sacré spectacle, tout de bleu glacial et de gris ! Nous sommes bel et bien au bout du monde. Le retour est paisible, je marche rapidement et loin devant, dans mes pensées, à tel point qu’à l’arrivée, Baudouin pensera que je suis tombée dans un ravin ! Mais non, je les attends au camping, faisant chauffer un plat de semoule, avant de prendre le bus qui va nous ramener vers la civilisation, à Puerto Natales.

Dans le bus du retour, la douce lumière du soleil rase le paysage. Le ciel est rose, la lune immense, déjà, et des vols d’oiseaux sauvages passent ici et là. Quelques guanacos pâturent dans les immenses étendues qui s’étalent devant nous. Je suis tellement émue par le paysage que je pleure pendant tout le trajet. Nous l’avons fait. Avec des contretemps, des ajustements, moults imprévus, mais nous avons pédalé sur une partie du continent sud-américain, sur une partie des Andes, de l’Equateur à la Patagonie. Les souvenirs du voyage défilent dans ma tête, certains semblent déjà lointains, je me sentirais presque nostalgique. Je suis tellement fière de ce que nous avons fait, même si c’était moins que prévu, je m’en fiche. Nous l’avons fait. Alors je regarde le paysage sauvage qui défile et j’essaie de l’imprimer sur mes rétines pour ne jamais oublier ce moment.

Suite et fin de notre périple en Terre de feu dans l’épilogue, à venir…