...

Éblouis par le bleu : notre deuxième semaine au Chili

Nous quittons Coyhaique le matin du 22 janvier. Le temps est incertain et le paysage fort différent : plus rocailleux, plus ample, moins encaissé entre montagnes et forêts. Ce tronçon de route est plus emprunté. Nous progressons vers le sud et devrions rejoindre le village de Cerro Castillo le lundi, soit deux jours et demi de vélo plus tard. Là-bas, nous comptons laisser nos vélos une journée pour faire une randonnée. Notre ferry à Puerto Yungaï n'est que le 5 février, aussi avons-nous le luxe de pouvoir prendre notre temps ! En milieu d'après-midi, le vent s'est levé et souffle furieusement : Baudouin et moi souhaitons nous arrêter. Maria et Mitch, eux, veulent continuer un peu. Nous nous retrouverons plus tard ! Nous patientons sous un petit abribus, en guettant les mobil-homes en bois qui se trouvent non loin. Un ouvrier finit par sortir et nous allons lui demander la permission de monter notre tente sur son terrain, à l'abri du vent. José, fort sympathique, nous indique une vieille serre recouverte d'une bâche en plastique trouée, derrière les bâtiments. L'endroit fait un poil dépotoir, mais il y a pile la place pour notre tente. Parfait ! Nous passons une très chouette soirée tous les deux, à écouter des podcasts. Sans compter que José nous invite à venir cuisiner nos pâtes dans son bureau, au chaud, où il a une petite plaque de cuisson. Il nous sert du thé fumant et une part de gros gâteau aux fruits confits. Il s'avère qu'il n'est pas ouvrier mais chercheur et que l'endroit est un centre d'expérimentation où lui et ses collègues font cuire et fondre différents types de goudron, pour les analyser - c'est du moins ce que j'ai compris.

Au réveil, un vent diabolique souffle déjà ! Après le repli de la tente, nous allons prendre notre petit-déjeuner à l'abri, derrière l'abribus. Les vélos n'arrêtent pas de tomber à cause des bourrasques. C'est un peu dur de se mettre en selle, mais la beauté du paysage nous motive. Nous sommes en plein cœur d’un parc national et cette matinée de vélo est particulièrement somptueuse : nous roulons aux pieds de montagnes aux dégradés ocres et beiges, cernés par des sommets crochus et enneigés. Au bord de la rivière qui coule sur notre droite, nous apercevons même des "huemules", les daims de Patagonie. Clou de cette matinée mémorable, la longue descente qui nous mène au village et qui nous permet d'admirer le chef-d'œuvre naturel du coin : la suite de sommets en forme de créneaux dentelés de château fort et l'immense glacier du Cerro Castillo. A couper le souffle ! Baudouin mitraille… Après un bref pique-nique, nous retrouvons nos chers compagnons de route attablés dans le petit restaurant installé à l'orée du village. Le soir venu, après quelques recherches, nous nous installons, fatigués, au bord de la rivière, à un ou deux kilomètres du village. Le terrain est idéal et réservé aux campeurs. Et gratuit !

La randonnée du 24 janvier restera dans nos mémoires… nous retrouvons Mitch et Maria de bon matin et démarrons une randonnée exceptionnelle qui va nous mener quelques 1300 mètres plus haut, après un chemin qui serpente dans la forêt et les champs, puis qui grimpe sec parmi la caillasse, au pied du glacier Cerro Castillo. Compter 4 heures aller, même chose au retour. Une lagune bleu turquoise s'étend au pied du glacier. Maria et moi, qui arrivons avant les garçons, avons même droit à un spectacle étonnant : un petit morceau du glacier qui se détache avec fracas… Le vent glacé souffle et nous nous abritons derrière au gros rocher pour déballer nos sandwichs. Nous déjeunons à côté d'un couple de Français, Anne-Claire et Paul, qui a vécu quatre ans à Buenos Aires et entame tout juste un long voyage sur le continent, en sacs à dos. Le soir venu, nous dormons sur le même emplacement que la veille : plat, propre et ombragé au bord de la rivière translucide.

Le lendemain, courbaturés (c'est peu de le dire), nous reprenons la route à 8 heures. Nous comptons pédaler seulement 50 kilomètres, mais avec 900 mètres de dénivelé positif et, surtout, sur… du ripio ! Encore lui. Il va nous accompagner pendant les 350 prochains kilomètres, jusqu'à Puerto Yungaï. La journée est difficile : nous progressons lentement avec un violent vent de face, de grosses côtes et un ripio en très mauvais état. Décourageant. Nous déjeunons rapidement, à la sortie d'un long tunnel qui, heureusement, n'est pas trop sombre. L'après-midi est longue et nous atteignons finalement notre but, un spot conseillé encore une fois par l'application IOverlander : une vaste grange abandonnée située sur la propriété d'un fermier, au bord d'une rivière qui serpente parmi de gros cailloux. Le propriétaire nous donne l'autorisation d'y planter nos tentes.

La journée qui suit est une succession de montées et de descentes, d'abord au milieu de la forêt. À cause d'un problème de freins, nos compagnons Maria et Mitch décident de monter dans un camion pour arriver rapidement à la ville la plus proche - Puerto Rio Tranquillo - et trouver une solution. Nous continuons donc la route tous les deux. La route suit la rivière, tantôt famélique, tantôt abondante, d'un bleu turquoise qui évoque les lagons d'Océanie. D'autant que les rives sont bordées de bancs de sable clair. Une merveille ! Le midi, nous nous arrêtons au soleil, au bord de la route, et dégustons des pâtes chinoises en écoutant Francis Cabrel. A la fin de la journée, je suis usée par le ripio, les cailloux et la poussière, mais la vue est magnifique : la route débouche sur un immense lac d'un incroyable bleu turquoise, le lac General Carrera, le deuxième plus grand lac naturel d'Amérique du Sud, après le Titicaca. Il est partagé entre le Chili et l'Argentine, où il s'appelle Lago Buenos Aires. Le paysage est splendide, magistral : le soleil brille sur l'eau et les sommets voisins sont enneigés. À 17 heures, il nous reste moins de 20 kilomètres jusqu'au village, mais nous avons le temps ! Nous décidons de nous arrêter dans une maison avec un grand jardin situé dans une descente, au bout du lac. Le monsieur qui y habite reçoit parfois des cyclistes. Il nous indique un abri où nous pouvons planter la tente, près de deux grandes tables avec des bancs en bois et une table à feu. Nous sommes à quelques mètres du rivage et Baudouin se baignera dans l'eau translucide… Camper ici est payant, mais les toilettes et la douche ne fonctionnent pas. Nous négocions d'avoir accès à sa salle de bain car nous sommes fort crasseux. Nos réserves de nourriture sont à sec, aussi tapons-nous dans notre fond de secours pour finir… les pâtes chinoises.

Nous prenons notre temps le lendemain et après un début de matinée relativement lent, direction puerto Rio Tranquillo ! La route est poussiéreuse à souhait et le soleil cogne, mais nous atteignons bientôt le village, faisons une provision de bons produits frais et allons retrouver Mitch et Maria au camping qui propose une réduction aux cyclistes, situé au bout du village. Puerto Rio Tranquillo est une bourgade paisible qui vit depuis une dizaine d'années du succès de ses Capillas de marmol, chapelles et grottes de marbre situées sur le lac. Nous réservons nos billets pour une visite de deux heures en bateau le lendemain matin, sur les conseils de Mitch et Maria qui en reviennent tout juste et ont adoré ! Nous nous reposons donc deux journées au camping, qui est doté d'une chouette salle commune en bois, avec de grandes tables, un frigo et des fauteuils en osier. Bon, c'est sans compter certains campeurs qui arrivent à minuit et montent leur tente en bavardant gaiement, moteur de la voiture allumé ! La veille de reprendre la route, nous sommes tous les quatre peu motivés : fatigue, légère lassitude et puis pédaler sur le ripio est usant.

Heureusement, le lendemain, malgré une nuit courte due aux autres campeurs fêtards, commence ce qui sera selon nous la plus belle partie de la Carretera australe ! La motivation remonte en flèche. Vent à décorner les bœufs dans le dos, nous longeons l'immense lac General Carrera puis de grands lagons d'un incroyable bleu turquoise et laiteux. Hallucinant ! C’est alors qu’un hurlement se fait entendre dans les bourrasques de vent : “Non, pas toi, tu es la dernière chose qui me retienne encore à la vie !” : l’appareil photo de Baudouin vient de lâcher, ce dont il ne se remettra jamais complètement. Nous prenons une averse et décidons de monter le campement au bord du rio Baker, le long d'un petit chemin forestier, sous un grand arbre qui nous protège plutôt bien de la pluie. Elle cesse d'ailleurs bientôt, et Baudouin et Mitch allument un feu à l'emplacement fraîchement laissé par d'autres campeurs : les braises sont encore chaudes. Voilà qui nous réchauffe contre l'humidité ambiante ! Chacun s'assoit sur une pierre, on lit, on écrit, on discute, on fait fondre sa chaussure, Mitch joue quelques airs à l'harmonica : une mélodie du Seigneur des anneaux, un refrain irlandais… Un peu plus loin, sur une petite plage de sable noir, nous profitons de la vue qui nous est offerte : les eaux bleues électriques du lac, le ciel gris sombre et un immense glacier…

La journée qui suit est plutôt tranquille. Déjà, nous nous réveillons au sec : contrairement à ce qui était prévu, il n'a pas plu cette nuit. Cela n'empêche pas qu'il fait frisquet et que nous prenons la route encore une fois bien couverts. Nous arrivons à Cochrane à l'heure du déjeuner, heureux de pouvoir nous reposer un petit peu. Nous engloutissons littéralement une énorme assiette de la "spécialité" locale la plus économique : une picadilla, plat composé de frites, de petits morceaux de saucisses et de viande de mouton, avec quelques tranches d'oignons, de tomates et d'avocats, ainsi que des morceaux d'oeufs. Le tout arrosé d'huile ! Pas mauvais néanmoins. L'auberge loue des cabañas pour quatre personnes à prix plutôt intéressant : nous décidons d'en prendre une pour deux nuits. Elle est simple, avec des équipements un poil vétustes (la gazinière semble menacer d'exploser à chaque utilisation, les plaques de cuisson imbibées de graisse s'enflamment tout entières, une odeur de gaz flotte dans la pièce principale et la porte ne ferme pas… Entre autres), mais confortable avec ses deux petites chambres doubles et son canapé. Nous y passons deux journées fort agréables tous les quatre et Mitch et Maria préparent même une généreuse pile de crêpes !

Le 2 février, il crachine, le ciel est sombre, mais nous repartons pour le dernier tronçon de la Carretera australe, direction Puerto Yungaï où nous attend le ferry qui va nous mener toujours plus au sud. Deux journées et demie de vélo nous attendent, et nous partons avec tous nos repas, les sacoches pleines de vivres. A suivre !