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A nous la Carretera australe ! Notre première semaine au Chili

Mardi 11 janvier, 14 heures : ça y est. Enfin ! On n'ose y croire et pourtant… nous roulons bien au Chili ! Nous venons de passer la frontière avec Maria et Florent (renommé Mitch par Baudouin), après quelques six heures d'attente, de procédures et un test antigénique dont les narines des garçons se souviennent (ils sont tombés sur l'infirmière qui n'avait pas le doigté délicat). Nous parcourons le sourire aux lèvres les 15 kilomètres qui nous séparent du village le plus proche, Futaleufu, où nous allons nous arrêter pour la nuit. Le paysage est verdoyant, avec de grands champs de blé dorés et les montagnes sont plus imposantes de ce côté-ci de la cordillère. Nous nous arrêtons à l'entrée du village, dans une petite pizzeria qui nous fait de l'œil. C'est mérité… Nous nous asseyons en terrasse, épuisés par tant d'émotions et sommes bientôt rejoints par Pedro, un Chilien qui attendait avec nous à la frontière et qui est passé avec sa camionnette aménagée. Il a monté sa petite entreprise et possède une flotte de 40 vans aménagés qu'il loue aux touristes. Nous dormons cette nuit-là dans le jardin d'un couple de retraités, aménagé en petit terrain de camping où les tentes se touchent presque.

Le lendemain, une longue journée nous attend : 80 kilomètres de ripio et un beau dénivelé pour rejoindre la fameuse Carretera australe. Nous décidons de partir dès 6 heures pour éviter la chaleur. Maria et Mitch décident quant à eux de garder les mêmes horaires, à savoir départ à 8 heures. Petit pincement au cœur : nous reverrons-nous ? Nous nous levons à 5 heures, mais je suis malade. Nous partons donc une heure plus tard et roulons lentement. Au bout d'une heure passée à pédaler le long de lacs majestueux, franchissant de sacrées bosses, je crève ! Le temps de réparer la chambre à air, qui voyons nous arriver ? Maria et Mitch, hilares : ça valait bien le coup de se lever à 5 heures ! Nous repartons donc ensemble. Nous longeons d’impressionnants rapides d’un magnifique bleu-vert coincés au fond d’une gorge et prisés des amateurs de rafting. Nous pique-niquons à l'ombre de grands arbres, harcelés par les taons, au bord de rapides où nous voyons passer plusieurs canoës et bateaux pneumatiques qui filent à toute allure. Le frein hydraulique de Mitch commence à fuir; Maria et lui décident donc de repartir très rapidement pour atteindre la Carretera Australe en fin de journée d’où ils pourront prendre un pick-up vers un bike shop. Petit pincement au cœur : nous reverrons-nous (bis) ? Après une baignade plus qu’express (23 minutes pour rentrer dans l’eau, 23 secondes dans l’eau glaciale), nous repartons. Au bout de 2 kilomètres, qui voyons-nous arriver ? Mitch, qui a fait demi tour pour chercher un bout de sa béquille adorée, tombé quelque part; en effet, les ondulations du ripio font vibrer les vélos, le matériel et les cyclistes, et il n'est pas rare que des vis se devissent. Nous continuons et l’attendons avec Maria. Une fois sa béquille retrouvée à 100 mètres de là où il a fait demi-tour, nous repartons encore une fois ensemble ! Décidément, it was meant to be. L'après-midi est rude : la route est mauvaise, ça grimpe fort et je suis encore affaiblie. Sans compter la chaleur… Le soleil cogne et nous suons à grosses gouttes au milieu des volutes de poussière que produisent les pick-ups qui nous doublent. Nous nous arrêtons donc 10 kilomètres avant Santa Maria, au bord d'un superbe lac, près d'un chalet rustique occupé par un groupe de huit quinquagénaires qui se retrouvent ici chaque été, entre amis, pour pêcher le saumon et cuisiner. Ils sont très gentils avec nous : ils nous bichonnent et nous servent de belles portions d'un ragoût mijoté absolument délicieux. Nous faisons tous les quatre le constat que les plats en sauce nous manquent beaucoup. Nous nous endormons repus. Le lendemain matin, c'est parti pour 10 kilomètres de grosse montée pour atteindre le village de Santa Maria et… la Carretera !!!! Et avec elle, l'asphalte. Joie ! Nous posons devant le panneau "Ruta 7, Carretera australe", puis avalons un pique-nique à base de bons fruits et légumes (mention spéciale aux avocats du Chili particulièrement crémeux) achetés au primeur du village. La bourgade est paisible sous la brume. De la pluie est prévue dans l'après-midi et la nuit. Nous repérons donc sur IOverlander un pont sous lequel il est possible de caser deux tentes. Nous y arrivons en fin de journée et y installons effectivement le campement. Le bruit de la rivière, où les plus courageuses (Maria et moi) prennent une petite douche, y est assourdissant, mais nous sommes abrités, c'est l'essentiel.


Le matin du 14 janvier, nous partons bien couverts, sous une pluie persistante. Peu importe, on avance sur l'asphalte trempé, toujours au milieu d'un vaste paysage de forêts mystérieuses, de cascades et de montagnes. L'heure du déjeuner arrive, la pluie a redoublé et nous nous abritons trempés sous un toit de barrière, au milieu des hautes herbes, juste au bord de la route. La route, l'après-midi, est une vraie montagne russe : à peine prenons-nous un peu de vitesse en descente qu'une bosse arrive, plus pentue que la précédente ! Les mollets chauffent, se refroidissent, chauffent à nouveau… Étonnamment, cela nous semble bien plus fatiguant qu’une longue côte. Mais nos nombreuses petites haltes pour reprendre notre souffle ou grignoter un biscuit nous permettent d'admirer le grand lac que nous longeons. Le village de Puyuhuapi, où nous arrivons sur les coups de 16 heures, est situé au bord d'un fjord, relié à la mer. Mitch, marin en plus d'être cycliste, s'empresse d'aller goûter l'eau. Elle est douce ! Pourtant, on sent les embruns. Puyuhuapi est un charmant petit village, avec les petites maisons traditionnelles aux murs recouverts de tuiles de bois sombre et leurs jardins à l'herbe bien verte et humide, avec de gros hortensias bleus et touffus. Les prix des hostels sont en revanche fort élevés et nous avons bien envie d'un vrai lit et d'un peu de confort. Nous dégotons une petite pension familiale sur la mignonne place centrale, avec des chambres en bois qui ressemblent à des cabines de navire, petite touche british en plus, avec une décoration en crochet. En prime : des lits moelleux à souhait et un petit poêle à bois dans la salle commune ! Le lendemain, repos et heureusement : il pleut toute la journée. Réunion au sommet autour de la carte papier, à l'ancienne, de Mitch et Maria : c'est l'heure de décider de la suite du voyage. Notre itinéraire initial devait nous faire prendre la Carretera australe jusqu'à Villa O’Higgins, puis repasser en Argentine pour quelques centaines de kilomètres qui nous auraient permis de voir le Perito Moreno et le Fitz Roy, à El Chalten, deux merveilles, avant de retourner au Chili pour visiter le parc Torres del Paine. Mais les postes de frontières en temps de pandémie ne nous laissent que deux options : repasser en Argentine et y rester (donc faire un croix sur Torres del Paine et un morceau de la Carretera australe) ou rester au Chili, ne pas voir le Perito Moreno, le Fitz Roy et terminer notre voyage à Punta Arenas et non Ushuaïa. Avec en prime 44 heures de ferry au milieu des fjords pour aller de Puerto Yungay à Puerto Natales car il n'y a pas de route pour relier les deux provinces. Nous hésitons peu : on nous a fortement conseillé le parc Torres del Paine et l'idée de passer deux jours en ferry nous ravit ! Et la route 40 entre le Fitz Roy et Ushuaïa n'est pas asphaltée et désertique. Mais nous nous faisons une promesse : nous reviendrons explorer l'Argentine que nous avons beaucoup aimé avant nos 80 ans communs - c'est-à-dire 2028, quand Suzanne aura 38 ans et Baudouin 42 (arg). Mitch et Maria hésitent davantage, mais au bout d'un suspens intenable… décident de continuer eux aussi au Chili ! Notre dream team continue donc ! Dans l'après-midi, une sirène annonce une alerte… au tsunami ! Arg. Nous guettons la réaction des passants par la fenêtre, mais personne ne semble paniquer. Bon…

Nous repartons le lendemain : il fait très froid et humide. Les montagnes qui entourent le village sont à moitié recouvertes de neige et de givre : superbe. Encore une fois, la journée s'annonce costaude avec le passage d'un col sur du ripio. Nous roulons d'abord tranquillement, apercevons même un dauphin dans le lac et réussissons à pique-niquer pendant une éclaircie. L'après-midi, il faut affronter les lacets serrés qui mènent au col, sous une pluie battante. Nous admirons un grand glacier que les nuages recouvrent bientôt. Nous sommes gelés, ce qui rend la montée rude. Nous nous arrêtons tout de même pour papoter lorsque nous croisons une famille de Français : Clémence, Thomas et leur petite Zoé, 18 mois, bien au chaud dans sa remorque. Ils ont commencé leur périple à Ushuaïa il y a un mois et remontent jusqu'en Colombie. Ils nous racontent un petit peu la logistique du voyage avec un jeune enfant : chapeau ! La pluie se calme lorsque nous arrivons en haut et nous avons droit à un beau soleil pendant la descente, qui nous sèche et nous réchauffe. Pour dormir, nous jetons notre dévolu sur un camping abrité. Enfin… le jeune propriétaire, guide de haute montagne qui parle français, nous indique une sorte de garage boueux rempli de crottins de chevaux. "Le camping est presque fini", assure-t-il. Mouais… pour 4 euros par personne, c'est un peu exagéré. Mais nous sommes relativement abrités et avons accès à des toilettes et un lavabo. Et puis il donne à Baudouin et Mitch des bûches pour allumer un feu. Nous partageons les lieux avec un jeune étalon noir très curieux, qui viendra renifler notre tente plusieurs fois pendant la nuit… mais Baudouin sait y faire !

Le réveil est absolument glacial. Brrr. Nous prenons la route le nez, les mains et les pieds glacés et guettons les premiers rayons du soleil… qui finissent par percer l’épaisse couche de nuages gris et nous réchauffer. La route est toujours aussi belle avec quelques glaciers qui s'offrent majestueusement à nos yeux et de nombreuses rivières qui coulent le long de la route et que nous traversons grâce à des ponts qui offrent de beaux points de vue. Le midi, nous atteignons le village de Villa Amanguay, avec sa minuscule église recouverte de tuiles de bois rouge. Nous achetons de quoi faire des sandwichs et allons nous installer dans la pièce commune de la casa de ciclistas tenue par Inez. Déjeuner assis autour d'une table est fort agréable. Nous prenons notre temps car c'est une petite journée : 49 kilomètres. Nous nous arrêterons d'ailleurs relativement tôt, vers 16 heures, dans un très joli endroit, idéal pour les campeurs : un renfoncement dans la forêt, au bord d'une rivière à l'eau translucide. On ne perd pas nos bonnes habitudes : Baudouin et Mitch font un feu, mais un peu trop proche de notre tente où je me retrouve bientôt enfumée, tel un jambon. La nuit suivante, c'est dans le jardin d'un couple de retraités que nous bivouaquons. Marcellino et sa femme nous laissent même utiliser leurs toilettes et le robinet situé dans leur poulailler. Le paysage est plus agricole, avec de vastes champs de blé sur lesquels flotte une petite brise. Il fait très beau.

Nous arrivons à Coyhaique, grande ville de la région, le mercredi 19 janvier. C’est une ville plutôt calme avec des petites maisonnettes en bois. La place principale, très arborée, offre plusieurs restaurants touristiques et des boutiques de vêtements et équipements pour les randonneurs. Mais l’heure n’est pas à la flânerie : nous prévoyons d'y rester deux jours et avons fort à faire : réserver nos entrées pour le parc national Torres del Paine, nos places sur le ferry que nous voulons prendre à Puerto Yungaï le 5 février, prendre nos billets d'avion retour, briquer nos vélos qui ont souffert du ripio… L’après-midi est forte en émotions : tour à tour, le parc Torres del Paine et la compagnie de ferry - unique moyen pour nous d’aller au sud du Chili, car il n’y a pas de route ! - nous disent que les dernières places ont été vendues quelques heures auparavant. A chaque fois, nous nous imaginons terminer notre voyage ici. Mais nous nous démenons, téléphonons à plusieurs reprises pour avoir différents interlocuteurs, allons dans les bureaux et miracle !! cela paye : nous dégotons des places, hourrah !!!!!

Nous trouvons de la place pour dormir dans une auberge de jeunesse assez étonnante : c'est un ancien centre d'examen avec une grande charpente en bois clair à l'étage, où les salles de classe, à l'étage, ont été vidées de leur mobilier, remplacé par des lits. Bonus : nous avons accès à une cuisine. Le premier soir, il n'y a pas de lits pour nous alors nous dormons sur un matelas gonflable. Nous rêvons d'une douche mais la ville est soumise à une coupure d'eau générale ! La tuile ! On ne vous raconte pas l'état des toilettes… L'eau (froide) reviendra heureusement plus tard dans la soirée. Nous avons une très mauvaise expérience, le lendemain, avec la laverie d'à-coté, qui nous rend notre sac de linge incomplet : il nous manque nos précieuses chaussettes de sport en mérinos, nos tours de cou, nos sous-vêtements et nos gants de vélos. Florent et Maria se retrouvent dans la même situation, ainsi que d’autres clients. Nous allons les voir pour essayer de retrouver nos affaires, mais le patron, véritable fripouille, est odieux et nous envoie balader. Il appelle même la police à qui nous expliquons la situation, mais rien n'y fait… nous sommes bons pour racheter les affaires perdues mais ne trouvons pas de matériel d’aussi bonne qualité qu’en France. Nous gardons donc un souvenir mitigé de notre halte à Coyhaique, avec quand même quelques petits plaisirs : un restaurant qui se souviendra du passage de Mitch et Baudouin, les délicieuses pizzas que nous nous offrons le deuxième soir, le vendeur de fruits et légumes qui nous permet de faire le plein de produits frais et les beignets à la pomme de terre et aux lardons de la petite boulangerie. Mais nous sommes heureux de lâcher nos téléphones et la logistique pour reprendre la route le samedi matin ! D'autant que nous avons pris nos billets d'avion pour le grand retour en France, le 28 février. Le mot d'ordre s'impose plus que jamais : profiter jusqu'à la fin de cet extraordinaire périple…