...

Lacs, sapins et nouveaux copains : nos trois semaines en Patagonie argentine

22 décembre, 16 heures : nous sortons du grand bus vert qui nous a emmené à San Martin de Los Andes. En tout, 27 heures de voyage. Il est peu de dire que le paysage a radicalement changé : adieu pampa désertique, aridité et grands canyons rocheux, bonjour ambiance alpine (pardon, andine), immenses forêts de conifères, lacs bleu-verts et chalets coquets. Sans oublier la chaleur, plus supportable toutefois : de ce côté çi du globe, l'été vient de commencer ! San Martin est LA station montagnarde prisée de la province de Neuquen, au nord de la mythique Patagonie. Et on le voit tout de suite : la rue principale, avec ses charmantes devantures en bois, ses boutiques de vêtements de montagne chics, ses glaciers, bars branchés et restaurants de fondue, mène à un grand lac encerclé par les montagnes et la forêt, avec une jolie plage où sont installés quelques foodtrucks qui préparent des hotdogs, des smoothies et de bières artisanales. Dans les rues qui entourent l'avenue San Martin, on déambule au milieu de coquettes résidences en bois, avec baies vitrées, grandes terrasses et jardins soignés où fleurissent de gros hortensias. C'est donc une petite ville où il fait bon se reposer, un poil polissée peut-être (avec des prix qui ont grimpés en flèche par rapport au nord du pays), mais cela nous va très bien pour quelques jours de repos. Nous prenons nos quartiers dans un hôtel confortable, qui sent bon le bois, dans une ambiance châlet, avec un salon garni de coussins moelleux et de décorations de Noël. Ambiance cosy à souhait, même si, par 35 degrés, difficile d'être dans l'esprit de Noël ! 

Nous passons cinq jours à San Martin : la veille du réveillon de Noël, nous rencontrons enfin, en chair et en os… Maria et Florent ! Quel plaisir de discuter en terrasse et… de parler français. Le lendemain, nous pique-niquons sur la plage pour fêter le réveillon : Florent apporte du champagne et Baudouin nous mijote un risotto poire-gorgonzola (enfin simili roquefort, c'est tout ce qu'on a pu trouver au supermarché) au réchaud. Nous nous échangeons même des petits cadeaux : barres de céréales gourmandes et bières du coin ! Baudouin et moi profitons de ces jours d'arrêt pour recevoir notre troisième dose de vaccin, indispensable si nous voulons passer au Chili en janvier. Nous sommes patraques, mais cela ne nous empêche pas de déguster une fondue fromagère avec nos nouveaux compagnons (sacrilège, le pain est une sorte de biscotte…) et de tester tous les glaciers de l'avenue. Mention spéciale au combo chocolat amer-pistache.

Nous prenons la route le 26 décembre, reposés et heureux de commencer à pédaler tous les quatre car on s'entend bien et on rigole beaucoup ! 

190 kilomètres nous séparent de San-Carlos de Bariloche, au sud, où nous souhaitons passer le nouvel an avant de remonter à Villa La Angostura et de passer au Chili. La région des sept lacs, fort touristique, est truffée de campings et les prix grimpent vite... 

Assez vite, nous optons pour du camping sauvage, notamment sur une petite plage que nous atteignons le troisième soir, une dizaine de kilomètres après avoir dévalisé une supérette pour refaire notre stock de vivres. Il fait très chaud et la route monte fort. Nous laissons bientôt les vélos sur un petit chemin piéton jonché de branches et de ronces qui descend vers la plage. Un vrai petit coin de paradis, au bord de l'immense lac Nahuel Huapi, que nous allons longer jusqu'à Bariloche. Sur la rive voisine, on devine les parasols blancs de quelques très beaux hôtels de luxe, posés sur de vastes esplanades de gazon parfaitement tondu. Nous ne sommes pas certains d'être autorisés à planter nos tentes ici… nous décidons donc de nous baigner et de pique-niquer avant d'installer le campement, histoire de voir si quelqu'un nous chasse… un homme arrive peu après notre repas, avec son sympathique basset hound en forme de grand salami qui répond au nom de Darwin. Il travaille dans le coin et nous avertit qu'effectivement le bivouac est interdit et que les riverains et hôtels, sur la rive d'en face, risquent d'appeler la police… pour confirmer cette triste nouvelle, un autre monsieur, cette fois responsable du petit camping privé situé à deux pas, au bout de la petite plage, nous demande de partir. La nuit tombe. Maria et moi lui faisons les yeux doux. Bingo, il accepte de nous laisser planter nos tentes sur sa parcelle, entre deux arbres. Et quelle vue ! Le lac, paisible, reflète le ciel mauve et rose. Zénitude absolue… 

Le lendemain matin, le spectacle est tout aussi somptueux, avec le lac, calme, qui se réveille doucement, comme nous. Quelques canards volent juste au-dessus de la surface. Nous avançons en direction de Bariloche avec un vigoureux vent de face. Nous ne l'avions pas anticipé mais tous les hôtels sont complets à cette periode de l'année. Nous passons quasiment deux heures assis dans la cafetaria d'une station service à appeler les auberges de jeunesse une par une ! Nous finissons finalement par trouver une dortoir pour quatre dans une chaîne qui possède deux hôtels avec cuisine, ambiance grosses auberges de backpackers. Le soir : pizza dans un petit restaurant chaleureux et douillet, avec un poêle à bois et de vieilles affiches de film aux murs.

Le lendemain, nous passons une journée tranquille. La ville de Bariloche ne nous plait pas vraiment avec son style de grosse station de ski touristique et sa grande avenue surchargée de boutiques et de restaurants. Il y a juste la vue sur l'immense lac aux eaux sombres, battues par le vent, qui vaut le coup (et un glacier incroyable !). Nous appelons une nouvelle salve d'hôtels pour tenter de trouver une chambre pour la nuit du 31 décembre au 1er janvier. Or, pour le réveillon, c'est complet partout et/ou hors de prix. Mais Maria parvient à faire fonctionner son application Warmshower et, miracle, un certain Trevor lui répond : il peut nous accueillir tous les quatre le lendemain, dans sa maison située à une quinzaine de kilomètres, au bord d'un autre lac. ¡Genial ! 

Le soir, Florent et Maria nous cuisinent des truites au four : on se régale et cela permet de faire passer la nouvelle qui vient de tomber. Le Chili retarde l'ouverture du poste frontière le plus proche, où nous souhaitions passer le 4 janvier… Nous allons donc continuer sur la route 40, jusqu'à Futaleufu, prochain point de passage, dans quelques 250 kilomètres.

Au matin du 31 décembre, nous voici pédalant tous les quatre face à des bourrasques particulièrement corsées, bien couverts et curieux de découvrir nos hôtes. La route bifurque et descend jusqu'à un très joli lac au bord duquel se trouvent de jolies maisons en bois style bûcheron-chic, petit côté canadien en prime. Charmant ! A midi, nous arrivons chez Trevor. La grande maison en bois blanc qui fait face au lac appartient en réalité à Dylan et Cherrie, couple d'Américains installé en Patagonie depuis une dizaine d'années avec ses trois enfants. Beaux, grands, sportifs (cyclistes notamment), ils sont chrétiens évangélistes et ont souhaité ouvrir une maison, un lieu d'accueil pour les cyclovoyageurs de passage. En ce moment, la maison est habitée par leurs amis Trevor et Adria, grands et sportifs eux aussi, couple de pêcheurs de saumon d'Alaska, qui sont venus passer six mois en Patagonie avec leurs trois enfants - blonds aux yeux bleus - et habitent la maison pour partager leur foi avec les voyageurs de passage. Ils sont très accueillants, souriants, nous montrent les chambres cosy à souhait et dotées de lits superposés : une chambre pour les filles, une autre pour les garçons, ce sont les règles de la maison ! La décoration est superbe et la cuisine, ouverte sur le grand salon familial, offre une vue imprenable et particulièrement paisible sur le lac. Adria a préparé des "chicken sandwichs" et nous partageons un premier lunch ensemble. Tout ce que nous racontons est "amazing" et ils nous disent qu'un dîner de réveillon est prévu tous ensemble ce soir, avec Dylan, Cherrie et leurs enfants. Ils ont instauré la tradition du Sabbat le vendredi soir (et nous sommes vendredi) avant le repas et un temps de lecture de la Bible après le dessert. "Would you like to join us ?" Ils nous accueillent si gentiment que nous ne nous sentons pas de refuser, et puis c'est normal de s'adapter !

Tout le monde arrive vers 18 heures et nous nous tenons la main avant le repas, tous autour de la table, en partageant le pain tressé pendant que Cherrie lit une prière en hebreu. Ensuite, nous faisons un tour de table où chacun, enfant comme adulte, partage un événement de la semaine passée dont il est reconnaissant. Adria a préparé une délicieuse soupe au poulet et aux haricots, avec une grande salade et un gâteau au maïs. Nous nous régalons, l'ambiance est très joyeuse et nous écoutons fort intéressés Dylan nous parler de sa quête spirituelle en Inde et en Orient et Trevor et Adria raconter leurs étés de pêche au saumon sauvage et les anecdotes avec les grizzlis chez eux, en Alaska. Ils nous questionnent aussi beaucoup sur notre rapport à la religion et la place de Jésus dans nos vies. Bon, leur but est clairement d'évangéliser, mais nous ne parlons heureusement pas que de religion. Et puis leur sens de l'hospitalité et leur gentillesse nous touchent beaucoup. Nous trinquons avec le champagne (ou plutôt mousseux, mais fameux) que nous avons acheté ! 

La première journée de 2022 est grise, pluvieuse, mais très calme et reposante. Florent s'est levé tôt pour préparer du pain maison et des crêpes, ce qui réjouit nos hôtes - "french bread !! What a treat !" - et nous aussi ! Adria nous explique comment fonctionne l'école à la maison, car ils préfèrent que leurs enfants ne soient pas scolarisés mais apprennent avec eux.

Pour le dîner, tous les supermarchés étant fermés, je cuisine avec ce qu'il y a dans le frigo et les placards : du poulet à la cacahuète et à la tomate, qui remporte lui aussi un joli succès, ouf ! 

Le lendemain, requinqués, reposés, nous reprenons la route et disons au-revoir à nos hôtes. Retour sur la 40, forcément, et direction Futaleufu où nous espérons passer la frontière d'ici huit jours. La journée est humide, le paysage forestier, avec des sapins à perte de vue. Nous passerons la nuit dans une cabañas dortoir, tous les quatre, après avoir avalé une montagne d'empanadas dans le petit restaurant d'à côté. 

Nous progressons doucement mais sûrement en Patagonie argentine. Le 3 janvier, nous pénétrons dans la région du Chubut, dont le nom nous plait bien, réputée pour ses fruits rouges ! Au bord de la route, de petites maisons de bois au toit rouge vendent framboises, mûres, jus et confitures artisanales… nous nous laissons tenter, puis dénichons un camping bucolique encerclé par les montagnes. Le vent s'est levé et souffle de manière impressionnante. Nous montons nos tentes prudemment et avons même peur qu'elles se déchirent… mais non ! Tout ira bien. Et le lendemain, émotion, nous quittons la 40, que nous suivions depuis Cafayate, 2400 km au nord (bon, ok, avec plus de 1000 kilomètres de bus). Nous voulons traverser le Parc National Los Alerces et en profiter pour rendre visite à Fernando, un ami du père de Baudouin, qui possède une maison au bord de la rivière : heureuse coïncidence ! A l'heure du déjeuner, nous faisons une halte à la Casa de ciclistas qui se trouve juste avant le village de Cholila. Nous sommes accueillis par Geronimo, cyclotouriste volontaire qui travaille à la casa. Il nous raconte ses voyages… les paysages au milieu desquels nous pédalons l'après-midi sont très beaux et bucoliques à souhait : vastes prairies vertes et jaunes avec, au loin, de grandes, immenses montagnes aux sommets blancs. Seul bémol : le ripio (piste de cailloux sablonneuse et ondulée) qui succède bientôt à l'asphalte et exige toute notre vigilance. Nous arrivons enfin chez Fernando et Brenda. Le lieu est splendide ! Ils habitent une grande maison en bois, au bord d'une rivière à l'eau translucide, avec une vaste terrasse et un long ponton de bois, lui aussi. Fernando est un passionné de pêche à la mouche. Un de leurs fils est aussi ici : Fernando (même prénom !), avec sa femme irlandaise et leurs trois fils, venus passer l'été. Nous dînons ensemble d'un grand plat de spaghettis bolognaises, en discutant gaiement, savourant la magnifique vue sur la rivière. 

Après une très bonne nuit passée dans nos tentes plantées au bord de l'eau (gare à l'humidité au réveil !) et un café (pardon, maté) avalé avec nos hôtes, il faut affronter notre mission du jour : 70 kilomètres de ripio… en route ! Nous entrons bientôt au sein du parc national Los Alerces. La piste monte, monte, mais le paysage compense largement l'effort : nous pédalons le long d'une belle rivière aux eaux turquoises, qui se jette bientôt dans un vaste lac entouré d'importantes montagnes. En fin de journée, la dernière côte nous offre une belle surprise : une vue imprenable sur notre premier glacier, de l'autre côté du lac. Emotion ! Et poussière ! Nous finissons (alleluia) par retrouver l'asphalte et pédalons, fatigués, jusqu'à un camping payant, mais qui n'a pas eau chaude. Nous fêtons cette longue journée de ripio avec des bières et du fromage.

Le lendemain, seuls 35 petits kilomètres nous séparent de la petite ville de Trevelin, où nous devons faire un test PCR avant de pouvoir nous présenter à la frontière, à Futaleufu, 15 kilomètres plus loin. Il fait une chaleur de plomb. Nous plantons les tentes dans un camping agréable, calme et verdoyant, tenu par un couple de retraités qui offrent une réduction aux cyclovoyageurs. L'après-midi, nous avons droit à un aller-retour en bus à la ville la plus proche, Esquell, pour faire un PCR. Puis, pour le dîner, Florent et Baudouin, grands princes, nous cuisinent de délicieux hamburgers au réchaud. Nous sommes bien, nous nous régalons, rions beaucoup et refaisons le monde tous les quatre. Nous formons désormais une fine équipe ! Le lendemain, nouveau rebondissement dans la série "Arriveront-ils à passer au Chili ?" : le Chili a modifié les règles d'ouverture du poste frontière de Futaleufù. Il est dorénavant possible de passer uniquement les mardis et jeudis. Et nous comptions passer le lendemain, un samedi. Heureusement que Maria a vérifié… Nous devons donc patienter. Bon, ce n'est pas si terrible. 

S'en suivent trois agréables journées au camping, à bouquiner, bavarder et siester sous les arbres pour se protéger de la chaleur, à déguster des glaces à la boulangerie du coin, notre nouveau QG. Mention spéciale à la mémorable partie de time's up et aux performances de Florent à l'harmonica ! 

Nous reprenons donc la route lundi 10 janvier, dans l'après-midi. Nous avalons péniblement les 30 kilomètres de ripio de très mauvaise composition qui nous séparent du poste frontière et plantons la tente à 200 mètres. Seules 60 personnes seront autorisées à passer le lendemain. Avant d'aller nous coucher, nous posons quelques questions au militaire argentin en poste, qui nous apprend que si le Chili nous refuse, l'Argentine ne pourra pas nous accepter de nouveau. Étrange… nous passons donc la soirée passablement stressés.

Le lendemain matin, nous prenons notre petit déjeuner vers 6 heures quand nous voyons passer la cinquième voiture de suite qui se dirige vers le poste frontière. Branle bas de combat, Maria et moi fonçons pour faire la queue et les garçons lèvent le camp. Grand bien nous en a pris : il y a déjà une belle file de voitures - certains sont arrivés pendant la nuit - soit une trentaine de personnes devant nous… commencent alors deux bonnes heures de stress en attendant de sortir officiellement d'Argentine. L'ambiance avec les autres conducteurs est bonne, mis à part quelques-uns qui essaient de doubler. Nous discutons avec quelques familles argentines qui espèrent pouvoir passer et enfin revoir leurs proches qui vivent au Chili, qu'ils n'ont pas vus depuis le début de la pandémie. Nous rencontrons aussi Isabelle, franco-brésilienne qui arrive sur sa grosse moto, bottes cloutées, veste en cuire à franges et chapeau de cow-boy. Une sacrée femme !

Nous passons enfin le poste frontière argentin. Une petite route de 400 mètres nous sépare du poste frontière chilien. Là, l'attente sera encore longue : test antigénique, questionnaire d'entrée, douanes, contrôle du contenu de nos sacoches etc. 

Au bout de trois longues heures d'attente supplémentaires, ça y est, le Graal, le bonheur : nous donnons notre premier coup de pédale au Chili…