Que calor ! Ce sera LE leitmotiv de cette traversée du nord argentin par la Ruta Cuaranta. Le paysage alterne invariablement entre la pampa, immense, aride, désertique, qui s'étend de part et d'autre de la route asphaltée. Les villages sont repérables de loin : tels des oasis, ce sont de vrais bouquets d'arbres, de verdure et de fraîcheur. Quel bonheur de les atteindre, souvent en pleine heure chaude ! A la fin de ce premier jour sur la route 40, nous jetons notre dévolu sur un camping municipal, dont le sol est jonché d'aiguilles de pin. Hélas, les employés nous disent que les sanitaires sont en réparation. Passez votre chemin ! Quelques kilomètres plus loin, nous trouvons un autre camping, plus cher. Le "Camping del sol" a cependant l'avantage d'avoir une piscine et une petite buvette qui vend des chips. Nous nous arrêtons donc et décidons de partir tôt le lendemain matin pour éviter au maximum la chaleur. En attendant… plouf ! En 10 secondes, Baudouin a enfilé son maillot. Bon, vue de près, la piscine est moins paradisiaque qu'il n'y paraît : pas mal d'insectes morts y flottent et… les chiens du camping y font même un plongeon. Mais nous nous rafraichissons avec délices et bouquinons sur les transats en plastique, bercés par les derniers tubes latinos à la mode que crachent deux grosses enceintes. On se croirait dans un club vacances !
Le lendemain, une journée de 117 kilomètres nous attend, si nous voulons atteindre la ville suivante. Le réveil sonne à 5 heures et nous levons le camp à une vitesse record : une heure ! Pédaler au lever du jour est un vrai plaisir. Mais très vite, la végétation disparaît, le soleil cogne et nous avançons dans le désert, à nouveau. Sur le bitume brûlant, quelques grosses mygales velues traversent lentement… Pas d'ombre en vue !
Vers 16 heures, rincés, nous entrons dans un petit village et nous arrêtons à l'ombre d'une maison. Le couple de retraités nous donne de l'eau fraîche et quelques pêches de leur jardin. Nous avons encore 15 kilomètres devant nous jusqu'à Hualfin, où nous souhaitons dormir, mais le couple nous assure qu'un charmant camping se trouve à moins de 5 kilomètres d'ici, enclavé dans la montagne, entouré de bassins d'eau thermale. Tentant... Après leur avoir demandé une dizaine de fois s'ils étaient certains que le camping était ouvert (la fiabilité de l'information est souvent douteuse en Amérique du Sud, d'après notre petite expérience !), nous optons pour cette solution. Nous prenons un chemin de terre et de cailloux relativement accidenté, qui monte et descend sec jusqu'au fameux camping.
Et là… fermé ! Le camping est abandonné, sans eau. ARG. Les grands cactus et les roches orangées de l'immense canyon qui nous entourent, avec son cours d'eau asséché, nous donnent plus que jamais l'impression d'être dans un décor de western… Dépités et un brin agacés (c'est un euphémisme), nous décidons d'attendre une bonne heure, amorphes et crasseux, à l'ombre d'un grand arbre, avant de repartir pour rejoindre notre destination initiale : Hualfin, où nous avons l'intention de dormir dans une petite pension indiquée par Florent et Maria qui y sont passés il y a quelques semaines.
Après ce détour de 10 kilomètres, nous arrivons fatigués à Hualfin dans ladite auberge, heureux de poser nos affaires poussiéreuses dans une petite chambre au carrelage frais, équipée d'un immense ventilateur et d'une moustiquaire (indispensable !).
Le lendemain est censé être une journée de descente, sous un ciel couvert (Alléluia), mais c'est sans compter un vent à décorner les bœufs qui nous ralentit considérablement. Et pédaler dans une descente, c'est un pur scandale, un sacrilège même, selon Baudouin. Nous arrivons donc trop tard à Belen où nous souhaitions déjeuner, si bien que les commerces et restaurants sont déjà tous fermés. La ville nous semble plutôt morose sous la grisaille, et après une part de quiche avalée sous la bruine, nous repartons pour le village suivant, Londres, à 15 kilomètres. Nous devons trouver un endroit où rester 48 heures, car Baudouin a des entretiens à passer. Nous sirotons un soda à l'ombre d'une petite tienda dont le propriétaire écoute de la techno à fond et admirons la jolie place avec ses grands arbres et ses bancs où papotent quelques habitants coiffés du traditionnel béret argentin. Encore un village très agréable ! Nous finissons par trouver une chambre à l'autre bout du village, qui s'étend sur deux kilomètres : une pépite, un vrai petit havre de paix ! "Las Cañas" ressemble à un ancien couvent, sauf que quelques murs sont recouverts de grands dessins colorés. Il est tenu par un jeune couple d'artistes et leurs trois chiens particulièrement amicaux. C'est Antonella qui nous accueille, avec sa petite fille Brunella, son portrait craché.
Devant les pièces en enfilade (une ancienne cuisine aux murs jaunes et terre de Sienne, une petite salle de bain fraîche et quelques chambres simples mais propres), une terrasse où nous rangeons nos vélos et un grand jardin luxuriant et bohème qui recèle de nombreux arbres fruitiers. Comme on se sent bien dans cet endroit !
Nous ne repartons donc que le mercredi, direction San Blas de Los Sauces, sous un soleil (sans surprise) de plomb. Les deux journées qui suivent ne sont pas fort différentes : pampa, soleil, ombre salutaire quand nous pénétrons dans un village ! A Pituil, où nous arrivons le lendemain en fin de matinée, nous trouvons refuge dans une maison déserte, tenue par un couple âgé. Elle sent fort le renfermé, mais nous passons l'après-midi au calme, volets tirés, après avoir dégusté un délicieux poulet à la milanaise dans la petite auberge voisine.
Le lendemain, nous arrivons à Chilecito, la plus grande bourgade du coin, sous une chaleur encore plus écrasante. Après un copieux déjeuner dans une chaîne de restaurants de grillades conseillée par plusieurs personnes dans la rue, avec salle diablement climatisée, nous affrontons à nouveau la chaleur et optons pour un camping ambiance hippie, situé légèrement à l'écart de la ville. Encore une bonne adresse glanée auprès de Maria et Florent. Il est tenu par Cristina, séduisante quinqua aux cheveux longs et au bronzage impressionnant, elle-même voyageuse à vélo, qui a traversé plusieurs fois l'Argentine avec son chien. Même immobiles à l'ombre, difficile de se rafraîchir… le camping est composé de plusieurs petites maisons type paillottes. La nuit que nous y passons me permet de battre mon record personnel de piqûres de moustiques. Je me réveille gonflée comme un ballon de baudruche et nous prenons la route à 6 heures, pour éviter la chaleur.
Un dénivelé de 1300 mètres réparti sur 30 kilomètres nous attend pour passer le col de la vallée de la Miranda. Il fait si chaud que nous optons pour la technique baptisée par Baudouin technique de la pizza ! Cela consiste... À couper une étape en tranches. Nous roulons à la fraîche et nous nous réfugions au bord de la piscine du petit village de Nañogasca, qui se situe dix kilomètres après le début de la grande montée. Comme d'habitude depuis le début de notre trajet à vélo dans le nord argentin, les villages sont annoncés au milieu de la pampa désertique et aride par un groupement d'arbres hauts, touffus et bien verts, promesse de fraîcheur ! Nous passons une bonne partie de la journée au bord de la grande piscine, à roupiller sur des transats, barboter et lire. À 16h30, il est temps de se remettre en selle ! Nous avons bien fait de patienter : reprendre la route est bien plus agréable, surtout avec la lumière dorée de fin de journée et la pente est, en prime, plus douce que ce que nous imaginions. Nous posons le campement sur les coups de 21 heures, juste avant la tombée de la nuit, et le lendemain, place à la fin de la montée que nous attaquons à 6 heures. Le spectacle de la Questa de la Miranda au levé du jour est fabuleux : il nous rappelle les paysages de la Quebrada de las Conchas, en encore plus impressionnant.
Après encore plusieurs heures à pédaler au soleil, nous atteignons enfin Villa Union. De là, nous prendrons une série de bus (le premier à 4h du matin, après une courte nuit près de la station service) assez interminable pour rejoindre San Martin de Los Andes. 1500 kilomètres, soit 27 heures de bus... Nous n'avons pas le temps de tout faire à vélo si nous voulons, de un, passer Noël à San Martin de los Andes avec Florent et Maria et, surtout, de deux, garder assez de temps pour descendre la Patagonie avant notre retour début mars.