Après un trajet en bus de nuit ponctué d'arrêts et de contrôles de police (difficile de dormir), nous arrivons relativement vaseux à Salta, à 6h30 du matin. Nous débarquons vélos et sacoches et filons vers un parc du centre-ville, non loin du petit studio que nous avons loué pour deux nuits, et qui est disponible plus tard dans la matinée. Nous achetons un jus d'orange frais et deux friands jambon fromage à une dame âgée qui a installé son petit barbecue entre deux palmiers, au bord de l'allée où courent quelques joggeurs et où passent quelques travailleurs, café à la main, en costume-cravate. Elle est bolivienne mais vit à Salta depuis 17 ans. Elle aime beaucoup la vie ici, mais travaille "de six heures du matin à dix heures du soir" tous les jours, sauf le dimanche… Et elle a plus de 70 ans. Nous mesurons encore une fois notre statut de privilégiés.
Une heure plus tard, Monica nous attend devant la 224 España qui va devenir notre logis pour non pas deux mais quatre jours. Un petit studio propre et confortable au rez-de-chaussée, avec une grande fenêtre grillagée qui donne sur la rue mais qui nous dissimule aux regards des passants car il s'agit en fait d'un… miroir ! Nous avons l'impression très agréable d'avoir un petit chez-nous.
Nous apprécions beaucoup Salta, malgré la chaleur écrasante. Boutiques et restaurants sont d'ailleurs fermés entre 14 et 18 heures, à l'espagnole ! De Salta, nous ne verrons que la place 9 de Julio et ses alentours. La place principale est particulièrement agréable en début de soirée avec ses palmiers, ses grands arbres et ses orangers qui exhalent leurs arômes entêtants, les danseurs de tango de tous âges qui se retrouvent après le travail pour danser sous le kiosque et les quelques duos de danse folklorique que l'on peut admirer (je ne m'en lasse pas) entre les allées. Nous retrouvons avec émotion les cafés et terrasses que nous n'avions pas vues depuis presque 6 mois. Nous admirons l'élégance des Argentins : hommes en chemise soyeuse, mouchoir dans la poche de la veste, pantalon de flanelle, cigarette tenue par une main flegmatique… Nous dégustons aussi une grande quantité de glaces le soir, à la nuit tombée, lorsque la température baisse et que l'heure est à la flânerie.
Nous quittons Salta le dimanche matin (5 décembre) sous une pluie fine et un ciel gris. Nous n'en sommes pas mécontents : nous voilà au frais et protégés du soleil ! En sortant de Salta, Baudouin tombe, au niveau de l'embranchement sur la route nationale, sur une boulangerie norvégienne qui sent bon Noël et la cannelle. Improbable ! Nous nous arrêtons pour siroter un thé aux épices et plusieurs roulés à la cannelle qui me rappellent avec émotion les traditions alsaciennes de ma famille. Après cette petite halte gourmande, nous repartons.
Nous avons repéré, pour bivouaquer le soir, un grand lac. Nous l'atteignons sur les coups de 16 heures, toujours sous un ciel maussade, mais grisés par la verdure luxuriante au milieu de laquelle nous pédalons. Sur les fils électriques, tout au long de la route 68, nous croisons des perruches vertes qui jacassent.
Le lac du Cabra Coral est le plus grand lac artificiel d'Amérique du Sud, aux dires de Juancarlo et de sa femme Zulma, prof de piano à Salta, qui passent leur dimanche ici, comme nombre d'Argentins, à pêcher en famille et à faire de grands barbecues dans les cuisines en pierre aménagées dans l'un des campings qui bordent la rive. Leur table en bois est recouverte de victuailles et ustensiles. Impressionnant ! Plusieurs chevaux sont en liberté et pâturent les herbes folles. Sur l'eau, d'étranges bateaux sont amarrés, tous recouverts de grands dessins colorés. Ils servent à aller pêcher la truite pendant la journée. Juancarlo, Zulma et sa famille nous offrent une tasse de maté et proposent même à Baudouin de se joindre à eux pour aller pêcher sur la rive !
Le lendemain, nous nous réveillons sous une pluie fine mais tenace. Brrr, nous frissonnons ! Nous avalons quelques biscuits mous et replions la tente en vitesse, direction le café de la petite ville, à quelques kilomètres, pour nous réchauffer autour d'une boisson chaude. Nous pédalons au milieu de vastes étendues verdoyantes, avec les Andes en toile de fond sur notre gauche. Nous prenons un bon déjeuner dans un grand ranch qui sert de copieuses assiettes de frites et de cochon, puis, après encore quelques heures de vélo, nous décidons de bivouaquer avant l'entrée du parc national de la Quebrada de las Conchas. Nous pensions trouver de quoi acheter de la nourriture, mais ce que nous prenions pour une petite ville sur le GPS est en réalité un hameau situé au bord du fleuve, sans aucun commerce. Ce sera donc des pâtes déshydratées au menu ! Un vendeur de céramiques et de poteries, installé juste au bord de la route, nous propose de planter la tente à l'arrière de sa maison et d'utiliser ses toilettes.
Le lendemain, nouveau réveil sous la pluie, plus importante que la veille. Tout est trempé ! Nous replions le campement et trouvons refuge sous l'abribus en bois qui se trouve non loin et petit-déjeunons avec ce qui nous reste, c'est-à-dire de la polenta et du fromage, en tentant de faire sécher la tente. Et de chasser les trois chiens qui s'approchent de nos assiettes. Le ciel se dégage et le soleil arrive à mesure que nous pédalons dans le parc de la Quebrada de las conchas. Splendeur ! De parts et d'autres de la Ruta Nacional 68, nous découvrons des canyons et reliefs aux formes tourmentées, rouges vifs, dont la couleur contraste avec la vallée verdoyante qui s'étend de part et d'autre de la rivière que nous suivons, en contrebas. Un paysage cinématographique à souhait... Quelques lieux sont aménagés sur le bord de la route, pour admirer le panorama. Nous y croisons quelques véhicules qui transportent des touristes, mais à part cela, nous sommes seuls. Après une belle montée sous la chaleur, nous décidons de nous arrêter devant une petite maison en bord de route. Le panneau "empanadas" nous fait de l'œil, car nous n'avons quasiment plus rien à manger. Une dame sort la tête de la fenêtre de sa cuisine. Elle ne vend plus rien depuis la pandémie. Nous réussissons quand même à lui acheter un peu de riz et un fromage de chèvre fait maison ! Elle accepte que nous cuisinions à l'ombre de la petite terrasse de sa maison et même que nous y montions la tente pour la nuit. Il nous reste seulement 35 kilomètres pour atteindre Cafayate, mais nous préférons les parcourir le lendemain. Nous passons donc l'après-midi ici, avec un nouveau compagnon, le benjamin de la famille : Wilson, 5 ans et fort bavard, qui veut qu'on lui parle français et qu'on dessine avec lui ! En fin d'après-midi, ses deux grandes sœurs reviennent de l'école et tous nous regardent monter notre tente avec curiosité. Wilson veut absolument s'installer dedans ! La famille, fort sympathique, charge le pick-up : ils partent chez les grands-parents, au nord, et ne reviennent que dans deux jours. Nous sommes donc au calme pour la soirée et admirons le ciel, immense, qui vire au mauve au-dessus du paysage de la Quebradas, rouge flamboyant.
Le lendemain, direction Cafayate ! Nous partons tôt pour éviter au maximum la chaleur. A 7 heures, nous pédalons à la fraîche dans un décor de plus en plus somptueux. Nous arrivons à Cafayate, connue pour ses vignes et ses vins, sur les coups de 11 heures, en nage ! Après un café agrémenté d'une belle pile de sandwichs jamon y queso ainsi que de quelques croissants, une part de tarte, une part de cheesecake et quelques palmiers, nous dénichons une petite pension familiale où il est possible d'utiliser la cuisine. Parfait ! Le patio, ombragé, est très agréable et frais. Nous passons trois nuits à Cafayate, ville qui nous a beaucoup plu. De taille modeste, elle n'a pas une architecture remarquable mais quelle douceur de vivre ! Baudouin passe quelques entretiens pour le travail.
Nous profitons aussi de l'immense piscine municipale, du vendeur de viande et de légumes de l'angle de la rue, nous flânons dans la rue principale, nous dégustons une grande quantité de tortillas au fromage, cuisinées dans la rue sur des barbecues ambulants qui sont sortis sur les coups de 18 heures, quand rouvrent les boutiques et cafés. Et nous sirotons quelques verres de "vino de la casa" (délicieux) à la terrasse d'un sympathique petit bar qui diffuse de la très bonne musique blues. Bref, notre petit séjour à Cafayate restera un excellent souvenir !
Nous quittons Cafayate sous un grand ciel bleu et donnons nos premiers coups de pédale sur la mythique route 40, entourée de champs de vignes…