Nous voici donc à Uyuni, ville ouverte aux quatre vents, avec ses rues pavées recouvertes de sable et le soleil qui tape, qui éblouit, inlassablement. Une vraie ambiance de western, touche andine en prime avec les habitants qui portent, pour la plupart, des tenues en tissus traditionnels. Les femmes ont la large jupe typique des Andes et, posé sur leurs longs cheveux tressés, le mythique chapeau melon noir, parfois agrémenté d'une plume !
Nous venons de dire au-revoir à notre cher Pascal et nous apprêtons à partir, samedi (nous sommes mercredi), traverser les provinces du Nord et Sud-Lipez, sans doute avec Daniel, qui a très envie de découvrir les beautés de cette région reculée qui nous intimide autant qu'elle nous fascine. C'est clairement l'un des moments du voyage que nous attendons avec impatience ! Et de l'appréhension.
Environ sept jours de vélo nous attendent, rudes car nous pédalerons essentiellement sur de la piste, souvent dans une épaisse couche de sable (caillasses en prime), avec parfois du dénivelé et surtout, en étant très chargés en eau et en nourriture. Mais le jeu en vaut la chandelle aux dires des cyclistes qui ont bravé ces obstacles pour pédaler au milieu du Lipez.
C'était sans compter ma cheville. Depuis quelques jours, je ressens une vive douleur au niveau du tendon de la cheville droite. Arrivés à Uyuni, impossible de poser plus que la pointe du pied par terre. Pressée par Baudouin, je file à l'hôpital. Verdict : une tendinite corsée, bandage et injections obligatoires. Rien de grave, mais du repos s'impose. Je suis assez perturbée par ce changement de plans, mais pédaler une semaine dans le sable et les cailloux n'est pas raisonnable… Baudouin va donc partir à l'aventure sans moi. Cela fait tout drôle de se dire que nous serons séparés quelques jours, mais il est en pleine forme et, quant à moi, une semaine de repos me fera le plus grand bien.
Le samedi à l'aube, Baudouin part donc avec Daniel, les sacoches chargées de snacks sucrés et de pâtes chinoises, et je reste dans le petit hôtel que nous avons trouvé, "Le Ciel d'Uyuni", situé à deux pas de la petite place arborée. Nous avons trouvé une chouette agence (elles sont légion dans cette ville qui vit essentiellement du tourisme) qui me fera traverser le Sud-Lipez en 4x4 jusqu'à la Laguna Verde, à deux pas de la frontière chilienne et récupérer Baudouin et Daniel avant de rentrer à Uyuni. D'ici une semaine donc. Le chauffeur, Adolfo, est super sympa et j'ai beaucoup de chance de pouvoir découvrir le Lipez en voiture à défaut de le traverser à la force de mes mollets.
Je passe donc une petite semaine reposante, calme et solitaire, à écrire, travailler un petit peu et observer les gens, assise sur un banc de la place ombragée. Uyuni n'est pas une jolie ville mais elle a ses charmes, comme les vendeuses de jus d'orange avec leurs petits chariots sur la place, son marché coloré ou encore la couleur du ciel, mauve et orange, le soir quand le soleil tombe et que la tiédeur remplace la chaleur. Quant à Baudouin, il vous partagera son récit prochainement !
Nous sommes jeudi et Baudouin m'envoie un message. Je peux prévenir Adolfo et partir le lendemain pour les 48 heures de traversée en voiture. Je dormirai dans une auberge à la Laguna Colorada le vendredi soir et le samedi midi, nous retrouverons Baudouin et Daniel à la Laguna Verde. Nous partons donc, Adolfo, son énorme 4×4 et moi. Il me tarde de découvrir cette région ! Et de retrouver Baudouin. Nous roulons longtemps, plusieurs heures, sur une piste de sable où nous croisons quelques camions de mine qui charrient d'énormes nuages de poussière. Gare à celui qui laisse la fenêtre de la voiture ouverte… Je scrute la piste en imaginant Baudouin et Daniel qui ont pédalé là-dessus. Les 48 heures qui suivent sont une succession de merveilles : la laguna Hedionda, d'abord, offre un paysage spectaculaire. Ses eaux peu profondes bleues, turquoises et blanches par endroits, avec des touches de lichens verts et orangés, sont peuplées par des colonies de flamands roses et blancs, certains ayant le bout des ailes noires. Son nom signifie… lagune puante ! Son odeur étant dûe à la forte teneur en soufre de l'eau. Mais cela n'a pas frappé nos narines. Lorsque je la découvre, c'est sous un ciel noir assez impressionnant : l'orage gronde et la chaîne de montagnes que l'on voit en arrière-plan n'en est que plus impressionnante. Un mélange unique de sérénité et de force ! Ensuite, place au désert. Nous roulons bientôt au milieu de grandes dunes de sable qui semblent s'étendre à l'infini. Et, au milieu du désert, l'arbol de piedra : une sculpture naturelle, une roche à laquelle le temps et l'érosion ont donné la forme d'un arbre. Je vous invite à aller découvrir les photos sur notre compte Instagram ! Vient ensuite la laguna colorada. Là encore, le paysage change radicalement. Un désert aux tons noirs et, soudain, au milieu, une immense lagune aux eaux blanches et oranges vifs. Hallucinant ! Ce sont les algues qui donnent, lorsque le vent souffle, cette teinte vermillon à la lagune. Et, surprise, lorsque j'entre dans le petit bureau des gardes du parc qui se trouve à l'orée de la lagune, je tombe sur… Baudouin ! Je ne devais le retrouver que le lendemain midi, à la laguna verde donc, mais il est resté ici pour m'attendre afin que nous découvrions une partie du sud Lipez ensemble. Daniel, lui, a continué.
Nous dînons et dormons chez la famille d'Adolfo, qui tient une petite auberge rustique. Pas de douche mais, pour le dîner dans la salle au sol bétonné, sur une petite table en plastique, une soupe aux frites et une bouteille de rouge !
Le lendemain, réveil à 4h30 pour aller découvrir, toujours en 4x4, les fumerolles et les geysers du Sol de Mañana. Après une baignade aux thermes naturelles de Polques, lieu d'une beauté folle où les bassins d'eau bouillante permettent de se baigner tout près des flamands roses et des vigognes qui se dessinent en ombres chinoises à travers la fumée qui s'échappent des bains. Le tout avec la chaîne des montagnes que l'on distingue au loin. Éblouis par tant de beauté, nous finissons par retrouver Daniel, couvert de poussière et de sable, à la Laguna Verde. Nous sommes vraiment heureux de nous revoir et d'admirer cette lagune qui se situe à seulement quelques kilomètres du Chili et du désert d'Atacama. Emotion, car c'est ici que nous devions passer, initialement, pour rejoindre San Pedro de Atacama. C'était sans compter la pandémie, encore une fois… Baudouin et lui peuvent être fiers d'eux ! En une semaine, ils ont traversé le nord et le sud Lipez par la route des lagunes et une succession de déserts…
Daniel hisse son vélo et sa montagne de sacoches sur le toit du 4x4 avec celui de Baudouin et nous repartons tous ensemble pour un rapide déjeuner à l'auberge et un très long trajet retour direction Uyuni. Nous revoyons une partie des paysages vus à l'aller, dont d'immenses champs de roches taillées par l'érosion. Encore une fois, majestueux et très impressionnant.
Durant une semaine à vélo pour Baudouin et 48 heures en 4x4 pour moi (c'est la vie), le Nord et le Sud-Lipez nous ont émerveillés. Nous resterons sous le choc pendant encore quelques jours...
La suite du voyage en Bolivie est assez rapide : le lendemain, nous décidons de prendre un bus de nuit pour Tajira, au sud-ouest, pour rejoindre Yacuiba, point de passage possible pour rejoindre l'argentine que nous ont indiqué Florent et Maria, couple de cyclovoyageurs français qui pédalent en Amérique du Sud depuis septembre et qui sont loin devant nous en Argentine. Un conseil précieux ! Dix-sept heures de bus : nous enchaînons deux longs trajets qui voient la chaleur et l'humidité grimper en flèche. L'aridité de l'altiplano fait place à un paysage plus verdoyant, avec des routes de terre rouge et de grands cactus qui dépassent du reste des arbres. Avant le second trajet, nous dégustons chacun un lomito, sandwich farci avec une généreuse escalope de poulet panée, un œuf au plat et du bacon. Protéiné ! Pendant plus de 8 heures pour 350 kilomètres, nous sommes perchés à l'avant de l'étage d'un bus qui n'est plus de première jeunesse et une série de déviations met mon estomac à l'épreuve !
Nous arrivons à Yacuiba sous une chaleur tropicale et trouvons refuge dans une petite pension familiale qui propose des chambres avec air conditionné. Après un PCR rapide dans l'un des nombreux laboratoires privés de la ville, nous nous asseyons près d'un barbecue ambulant installé sur le trottoir. La nuit tombe, les insectes font un sacré tintamarre dans les grands arbres et nous dégustons une soupe au poulet assortie de quelques grillades, très émus d'être si proche de l'Argentine !
Nous sommes le 1er décembre 2021 et nous sortons dans la chaleur étouffante pour aller chercher le colis que Baudouin avait fait envoyer de Oruro, avant notre traversée des salars… qui nous semble déjà loin ! Nous devrions recevoir les résultats de nos tests PCR à 13 heures et ensuite nous fonçerons au poste frontière direction l'Argentine. En croisant les doigts pour que le passage de cette première frontière terrestre du voyage se passe bien… avec cette histoire de variant, nous n'avons pas voulu traîner. Résultats négatifs des tests en poche, nous pédalons vers le poste frontière sous une chaleur écrasante et moite. Yacuiba nous aura plu, avec sa végétation, ses jolies maisons et l'odeur des fleurs. Il faut faire vite. Nous devons changer de l'argent, remplir asap la déclaration jurada en ligne depuis nos téléphones et nous présenter : il est une heure de plus ici, et le poste ferme à 16 heures nous préviens le militaire. Ce qui nous laisse moins d'une heure. Après quelques sueurs froides (ou chaudes) à cause de la déclaration en ligne, interminable, que nous devons remplir et valider trois fois sans succès (heureusement, le personnel du poste frontière est on ne peut plus gentil et nous laisse utiliser un de leurs ordinateurs) ça y est, nous y sommes !!!! Nous sommes en Argentine… et nous y sommes arrivés par voie terrestre ! Heureux bien qu'un peu sonnés par la chaleur, nous pédalons jusqu'au terminal terrestre. En effet, sur les conseils de Maria et Florent, nous avons décidé de parcourir la distance qui relie Yacuiba à Salta, soit 600 kilomètres, en bus. Ce tronçon est en effet très emprunté et assez dangereux - en tout cas fort désagréable - à vélo. Le prochain bus part à 22 heures, nous devons donc attendre six heures dans cette petite gare ombragée, où vont et viennent des argentins en tongs.
A l'heure dite, le grand bus arrive. Nous chargeons soigneusement nos vélos et montons. Salta, nous voici !