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Montagnes péruviennes, suite et fin : notre sixième semaine au Pérou

Fini donc l'aventure de la Great Divide péruvienne pour nous ! Nous ne ferons pas la quatrième et dernière partie. Mais nous sommes tout de même fiers d'avoir parcouru les trois premières parties presque en entier. C'était absolument magnifique, éprouvant parfois, mais avec un grand sentiment de liberté, grisant, qui nous a inspiré beaucoup de modestie face à l'immensité de la montagne, de la nature. Et qui nous a montré que nous étions capables de relever ensemble ce beau défi. 

Nous quittons donc Ayacucho, ville ensoleillée que nous avons beaucoup aimée, pour une longue montée, avant d'entamer une descente de 40 kilomètres qui va, elle, nous amener à 1900 mètres d'altitude. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas été aussi bas ! La montée n'est pas extraordinaire, c'est peu de le dire. Il fait chaud et poussiéreux, avec pas mal de camions. Le décor est assez déprimant, mais il faut avancer. Nous nous arrêtons le midi dans un restaurant de bord de route situé sous un gros hangars. Le propriétaire, ce n'est pas la première fois, nous annonce d'abord des prix de "gringos" et omet de nous servir la soupe qui va avec le menu. Charmant.Le paysage devient un peu plus sympathique à mesure que nous montons les grands lacets : des prés verdoyants et de grands eucalyptus bordent la route. Nous nous arrêtons pour dormir dans une sorte de grand restaurant avec un joli jardin rempli de grosses marguerites. Nous sommes dimanche et les habitants des patelins alentours se sont réunis pour discuter de la gestion des eaux. Le propriétaire, Ugo, est d'accord pour que nous installions notre tente sous son espèce de préau, et nous sert à manger : une délicieuse truite (pour moi) et un copieux morceau de viande (pour Baudouin). Quelques agriculteurs restent à la nuit tombée, à environ cinq mètres de notre tente, où nous bouquinons peinards, et parlent de plus en plus fort, musique en fond, à mesure qu'ils vident leurs verres ! 

Le lendemain, le réveil sonne fort tôt et nous avalons notre petit-déjeuner (arroz à la cubana) servi par Ugo. Une petite fille du coin et son petit frère viennent nous voir et veulent tripoter toutes nos affaires, entrer sous la tente, etc. Difficile de leur dire de se calmer, nous devons carrément nous fâcher… Nous repartons bientôt direction le col du jour, qui va être suivi par plusieurs kilomètres en altitude (aux alentours de 4000 mètres) et d'une fort longue descente, assez impressionnante, vers la rivière. L'ascension est longue, mais les conditions sont tout de même moins ardues que sur la Great Divide ! La route est calme, avec de belles perspectives sur les montagnes alentour et la vallée. Les arbres disparaissent bientôt et la flore est toute jaune. Le paysage est splendide, nous croisons une belle lagune où règne des flamants roses et allons y remplir nos gourdes. Heureusement que les filtres et les pastilles micropures sont là ! 

Passé le col, nous croisons des dizaines et des dizaines de familles assises sur les herbes folles, près de leurs voitures, coffres ouverts, qui préparent des barbecues et pique-niquent gaiement ! Un cochon rôti parfois à la broche, accompagné de gros épis de maïs blancs. Les femmes portent la grosse jupe traditionnelle, noire et brodée de grandes fleurs, de longues nattes et un chapeau. Certains nous saluent au passage, nous essayons d'en savoir plus sur ce rassemblement, mais chou blanc. 

Nous nous arrêtons plus loin pour pique-niquer à notre tour, à l'abris du vent et du soleil dans le renfoncement en ciment où coule habituellement une rivière (pas une goutte d'eau de toute la journée dans les rivières et citernes que nous croisons, c'est fort sec et nous comprenons l'inquiétude des paysans croisés hier soir). 

Nous rejoignons la descente environ une heure après le déjeuner. Elle est assez impressionnante et nous enchaînons les virages, serrés, pendant un bon moment, jusqu'à rejoindre la rivière qui coule en bas. Nous avons dévalé quasiment 2000 mètres de dénivelé et la température est drôlement plus élevée, moustiques en prime. Nous faisons une pause à l'ombre, achetons yaourt frais et mangue à une tienda, et nous nous recouvrons les bras d'anti-moustiques. Nous décidons de descendre encore, jusqu'au village de Chumbes, où nous passerons la nuit. Le village est plutôt joli, avec ses plantes tropicales et sa petite place arborée. Nous optons pour une chambre à 20 soles, à l'arrière d'une petite tienda. Le soir, nous dînons d'un ceviche et d'un lomo saltado dans le jardin du restaurant d'à côté. Une enceinte digne d'un concert au stade de France crache des basses si fortes qu'elles font presque vibrer les tables ! Heureusement, une coupure d'électricité bienvenue survient… Nous voici éclairés à la bougie, dans un silence presque total ! A noter : manger un ceviche en pleine montagne n'est pas une bonne idée. Il vaut mieux resister à la tentation.

Le lendemain matin, nous partons tôt, avec de la descente au programme de la première heure. Nous dévalons quelques virages, dans une ambiance toujours plus tropicale, avec des cactus, de grandes orchidées et de drôles d'arbres à chauve-souris sur le bord de la route. C'est vraiment très beau. Il est sept heures, mais il fait déjà fort chaud ! Nous nous arrêtons prendre un petit déjeuner dans une buvette : arroz à la cubana, avocat, jus d'oranges. C'est reparti. Nous descendons jusqu'au lit du fleuve, à "seulement" 1900 mètres d'altitude. Quelle fournaise !! Nous transpirons à grosses gouttes et une longue, très longue montée nous attend une fois passé le fleuve. Je résiste à l'envie de dévaliser les marchands de fruits installés sous des parasols en bord de route (j'achète tout de même deux mangues, que Baudouin regarde d'un oeil noir). Les deux heures qui suivent sont rudes : nous pédalons sous un sacré cagnard et les lacets sont de plus en plus raides. Nous avons la sensation que nos vélos pèsent une tonne. La musique qui sort de mon téléphone m'aide un petit peu (vive les playlists de Côme, le frère de Baudouin !). À l'heure du déjeuner, nous cherchons avidement un brin d'ombre pour manger nos sandwichs : pain, avocat, fromage. Ce sera un carré de sable derrière un buisson épineux, au milieu de quelques détritus… peu importe, il fait plus frais ! Nous avons rarement autant transpiré en pédalant, nos visages sont écarlates. Deux tomates. La fraîcheur des cols de la Great Divide commence à nous manquer… Heureusement, le déjeuner nous permet de reprendre un peu de poil de la bête et la suite de la route - de la montée, siempre, jusqu'à Chincheros, notre destination du soir - est plus tranquille, plus ombragée. Nous atteignons donc la sympathique petite ville vers 16 heures, nous jetant sur des glaces et des bouteilles d'eau fraîche. Nous nous installons dans un petit hostel à la façade vert pomme, conseillé par la merveilleuse appli iOverlander, et tenu par une sympathique grand-mère : pas cher, propre, douche tiède ! Nous attachons nos vélos dans le tout petit jardin et montons notre barda. Derrière la grand-route, qui traverse la petite ville cernée par les montagnes avec un immense Christ blanc qui surplombe le tout, il y a une fort jolie place, avec de grands arbres exotiques. De grandes grappes de fleurs d'un bleu vif exhalent un parfum entêtant et il est très agréable de flâner dans la tiédeur du soir, sans être emmitouflés de la tête au pied. Nous jetons notre dévolu sur un restaurant familial qui sert du poulet rôti avec d'immenses frites à un débit assez impressionnant. Le père à la rôtisserie, la mère en cuisine et les enfants en salle, qui font le service ! 

Le lendemain, nous avons négocié un petit déjeuner à 6h30 avec une dame installée non loin de l'hostel. Arroz a la cubana et une grande tasse de café flottard. Nous reprenons la route. Ça monte encore et toujours, mais la pente n'est pas trop rude. Il y a beaucoup de maisons, de restaurants et d'élevages au bord de la route, c'est assez animé et toujours aussi verdoyant, en tout cas les premiers trente kilomètres. C'est la journée des animaux mal en point : nous croisons un pauvre cheval rachitique qui boîte et auquel son maître inflige de grands coups de pied en criant. Nous ne pouvons hélas pas faire grand chose. Quelques kilomètres plus loin, un pauvre petit chien errant se fait renverser par un gros 4×4. Ils sont tellement nombreux sur la route que c'est hélas souvent le cas… les autres chiens l'entourent en gémissant. Lorsque nous dépassons les 3500 mètres d'altitude, le paysage devient, sans surprise, plus sec, mais fort beau : décidément, nous préférons pédaler en altitude, avec l'air vif qui nous fouette le visage et le relief qui défile sous nos yeux. Nous montons, montons de longs lacets, avec une pause pique-nique après un virage, sur un petit carré d'herbe, en musique. Nous admirons d'immenses oiseaux planer au-dessus de la vallée. Des condors ? Nous visons la ville de Talavera en fin de journée. 

Nous passerons la nuit dans une chambre d'hôtel bruyante, mais fraîche et spacieuse. Ce n'est pas de refus, je suis fourbue avec un début de tendinite. Après une nuit bruyante et deux croissants secs avalés dans le square qui fait face à notre hôtel, je décide donc de prendre un bus pour Abancay. Baudouin, qui est plus en forme, hésite à la faire à vélo puis se ravise. Nous pédalons jusqu'à la gare routière pour trouver un bus qui nous mène à Abancay. Là nous attend Enrique, propriétaire d'un hôtel fan de vélo qui a eu la gentillesse de réceptionner deux petits paquets qu'on nous a envoyé de France et que j'ai hâte d'ouvrir : l'un contient une crème pour le visage et l'autre du thé matcha, mon pêché mignon ! Futile, peut-être, mais je me réjouis de ces petits plaisirs qui m'ont tout de même manqué. 

Le trajet en collectivo (petit bus blanc pour une dizaine de passagers) est sacrément pénible : il fait chaud et les fenêtres s'ouvrent à peine, sans compter que le chauffeur conduit à la péruvienne, comme un dingue, sur une route de montagne qui me retourne l'estomac ! Nos vélos sont attachés sur le toit. Je les envie presque... Trois heures plus tard, nous arrivons enfin à Abancay. C'est une ville qui grouille, bruyante et assez laide, point de passage de nombreux touristes, avec plein de boutiques et de restaurants aux enseignes lumineuses. Nous trouvons le "Gran hotel" où Enrique nous accueille chaleureusement et nous installe dans la chambre qu'il nous a préparée. Elle est spacieuse, dans les tons marron avec un sol carrelé, des murs recouverts d'une sorte de moquette marron également et des néons. Ambiance URSS ! Businessman dans l'âme, Enrique nous montre le chantier en cours dans l'autre partie de l'hôtel, où s'active les ouvriers. Il veut ouvrir un "food court" avec parking au rez-de-chaussée ! 

Nous comptons faire le trek du Choquequirao depuis Abancay, avant de partir pour Cuzco, mais il nous faut des sacs à dos et des bâtons. Or, Enrique ne peut pas nous en prêter et aucune boutique n'en loue visiblement à Abancay… nous ne passerons donc qu'une nuit ici et partirons le lendemain en début de soirée direction Cuzco, où nous pourrons trouver du matériel de randonnée. Un chouette souvenir d'Abancay sera le déjeuner avec Enrique et sa femme dans leur restaurant favori qui propose de très bonnes grillades - steak argentin, truite sauvage… - servies sur des plats en pierre volcanique, avec une ribambelle de petites sauces.

Nous partons avec le bus de 18h45 depuis la gare routière, malgré un employé de la compagnie de bus qui, au moment de charger nos vélos dans la soute, nous demande avec insistance un "supplément" injustifié. 

Nous sommes le 30 septembre et notre bus roule vers la belle Cuzco qu'il nous tarde de découvrir, et où nous pourrons nous reposer. Nous ne savons pas encore que quelques rebondissements vont nous contraindre à laisser nos vélos pendant un mois, avant de partir pour la Bolivie. Suite au prochain épisode !