Nous arrivons à Huancavelica sans trop réaliser que nous avons terminé la deuxième partie de la Great Divide, tant elle a été saucissonnée. Le détour impromptu par Huancayo nous aura épargné deux cols, dont un sacrément costaud. Petit goût d'inachevé…
Après un petit ceviche accompagné de délicieux beignets au calamar, nous nous mettons en quête d'un hostel. Alors que nous scrutons les écrans de nos téléphones, une cycliste passe devant le restaurant ouvert sur la rue. Elle remarque nos vélos et vient vers nous, souriante ! Veronica est chilienne, porte un pull en laine d'alpaga, parle anglais et surtout voyage à vélo depuis plus de quatre ans ! Elle nous indique l'hostel situé à deux pas où elle et ses deux compagnons de voyage, Camillo, colombien, et Jon, vénézuélien, ont posé leurs sacoches. Elle doit filer : elle vend des bijoux en perles fabriqués à la main sur la touristique Plaza de Armas, mais nous décidons de nous retrouver le soir. Ce sont les premiers cyclovoyageurs que nous croisons depuis notre arrivée sur le continent… on ne compte pas les lâcher !
Nous montons nos sacoches dans notre chambre et nous reposons un petit peu. Peine perdue : des travaux de plomberie feront du bruit jusque tard dans la soirée, avant de reprendre à l'aube (ce qui nous vaudra de changer d'hôtel le dernier soir). A la nuit tombée, street food au niveau de la place du marché : Veronica fait découvrir à Baudouin ses burgers favoris, cuisinés par deux vénézuéliens super sympas. Un délice absolu (ils mettent les frites DANS le burger), accompagnés de leur petite sauce maison à l'avocat.
Le lendemain, journée tranquille en ville : nous sirotons un immense jus à la mangue et à l'ananas dans le petit café situé juste en dessous de l'hôtel, accompagné de sandwichs au fromage. La journée se passera entre petites courses, écriture assis sur le canapé de la salle commune de l'hôtel (où nous toise un grand poster de la Joconde) et petit tour au marché.
Nous partons deux jours plus tard, un samedi matin, près à entamer la troisième partie de la Great Divide. C'est la plus courte (130 kilomètres), mais elle nous fait franchir quatre cols dont deux qui frôlent les 5000 mètres ! Et nous partons qui plus est pour trois jours en autonomie de nourriture. Nous sortons rapidement de la ville. La montée est très régulière et la route est asphaltée, ce qui est fort agréable : nous avons l'impression de glisser sur le revêtement et d'avancer avec un minimum d'effort. Le paysage devient plus désertique, mais nous croisons quelques voitures. Un minibus est arrêté sur le bord de la route, en pleine montagne. Les passagers sont sortis, tous vêtus d'une même chemise, pantalon de costume et cravate violette. "Je parie que ce sont des musiciens !" me souffle Baudouin. Nous engageons la conversation et bingo, il s'agit de "los conquistadores del Peru", un orchestre de saxophones basé à Huancayo qui se déplace dans la région pour jouer lors de mariages et de fêtes de village.
La journée passe, avec des lacets toujours aussi étirés et agréables à franchir, et globalement assez peu de dénivelé. Des flamants roses s'envolent d'une lagune à notre passage : magnifique spectacle ! Nous décidons de nous arrêter vers 17 heures, avant d'entamer une montée plus sérieuse qui va nous emmener au premier col, à une dizaine de kilomètres de là. Nous jetons notre dévolu sur le seul endroit à peu près plat du coin : un petit terrain de blocs de mousse entre lesquels coule un peu d'eau. Poétique… mais espérons que ça ne soit pas trop humide… par précaution, nous mettons la couverture de survie sous la bâche. Il fait sacrément froid : nous sommes tout de même à 4700 mètres d'altitude ! Il va d'ailleurs pas mal neiger pendant la nuit. Quelques voitures nous klaxonnent en passant, ayant peut-être des doutes sur la pertinence de planter une tente sur de la mousse humide. Un chien curieux s'approchera aussi de notre petit campement en grognant.
Le lendemain, c'est parti pour une grosse journée ! Au programme de la matinée, passage du col, descente puis passage d'un deuxième col, légèrement plus haut, qui va nous faire frôler les 5000 mètres d'altitude. Un record depuis le début de notre voyage… Le premier col est un plaisir : nous quittons à un moment la route pour de la piste, mais lisse et large, avec une pente relativement douce. La piste, rouge, est à flanc de montagne et nous croisons plusieurs vigognes. Au niveau du col, le paysage est quasiment désertique avec de grandes dunes de terre dans les tons ocres. Une petite barre de céréales et quelques photos pour fêter ce col et nous descendons. Il nous faut maintenant franchir une mine et repartir à l'ascension d'un deuxième col, avec cette fois une pente bien plus raide et des incertitudes quant à l'état de la piste. Une petite erreur de GPS nous oblige à remonter une partie de la descente. 45 minutes de lacets qui nous amènent dans une sorte de vallée où se succèdent les camions. Nous ne sommes pas à l'aise. Il faut nous mettre à l'extrême bord de la piste pour que les immenses camions passent, en file indienne. L'un d'eux accroche même mon vélo et me fait glisser au bord de la piste, ma monture avec. Paniquée, je hurle : le chauffeur s'arrête et vient m'aider à remonter sur la route, avec mon vélo. Plus de peur que de mal, mais je repars en tremblant. Nous attaquons enfin la montée qui est diablement corsée. Puis, à une bifurcation, nous prenons à droite et montons à nouveau, poussant parfois nos vélos… hélas, nouvelle erreur : il faut redescendre le dernier kilomètre, et prendre à gauche. Nous nous engageons sur un chemin qui va bientôt s'avérer impraticable. D'énormes cailloux nous empêchent de pédaler. Nous devons pousser nos vélos, mais la pente et l'altitude n'aident pas. Le col n'est pas bien loin, mais le chemin pour y arriver me paraît interminable. À trois reprises, des trous aux allures de crevasses nous empêchent de passer : il faut enlever les sacoches des vélos et faire passer nos montures en les portant. J'ai le vertige et je suis à bout. Heureusement, Baudouin est vaillant. Nous nous arrêtons tôt ce jour-là, vers 15 heures, en pleine descente. Nous tombons sur un petit abri qui ressemble à une bergerie, au toit de paille, mais ouvert. Chic, il nous protégera du vent. Il est divisé en trois espèces de compartiments séparés par des petits murets de pierres : il y a pile la place de monter notre tente. Pendant la nuit, nous entendrons la neige tomber et le bruit des camions miniers, qui travaillent plus haut dans la montagne.
Le lendemain matin… tout est blanc ! C'est très beau. Nous prenons un rapide petit déjeuner abrités dans la tente et il est l'heure de refaire nos sacoches et de démonter la tente : le ballet habituel ! La piste est recouverte d'une fine couche de neige, qui disparaît au bout de trois lacets en descente. Au détour d'un virage, une ferme et de l'animation : plusieurs pick-ups sont garés là et des familles sortent les thermos de boisson à l'avoine et de gros tas de filets noirs. "C'est pour les vigognes !" Nous explique un des Péruviens. Ils vont les capturer pour les tondre, avant de les relâcher. Nous poursuivons notre descente matinale. Le paysage est très beau, vert, rouge et blanc, avec la chaîne de montagne enneigée derrière nous.
Nous avons aujourd'hui deux cols à franchir, assez rapprochés, et un peu moins hauts que ceux de la veille. Le premier commence fort avec des lacets à la pente prononcée, mais, heureusement, un paysage à couper le souffle. Nous sommes cependant un brin démotivés en ce début de journée et nous nous disons que si un pick-up passait par ici, on se laisserait bien tenter… Heureusement personne ne passera, ce qui nous permettra de franchir les deux cols à vélo. Et finalement, c'est une belle satisfaction ! Le premier est le plus difficile, mais le paysage verdoyant, tacheté de quelques lagunes rouges et oranges, nous motive. Le second col est plus doux, avec un paysage par endroits sablonneux, dans les tons ocres. A deux kilomètres de ce dernier col, nous pédalons au milieu de grandes prairies aux herbes folles, peuplées de vigognes, avec des marécages couverts de mousse et, plus loin, de drôles de dunes oranges… Nous devons descendre de vélo car la minuscule piste qui passe au milieu des blocs de mousse est couverte de pierres, mais ce n'est pas désagréable. La descente post-col évoque les paysages du Seigneur des anneaux et de la Comté. Une trentaine de kilomètres sans aucun effort va nous mener au village de Licapa, fin officielle de cette troisième partie, courte, mais intense (et somptueuse) de la Great Divide ! Je crois que c'est l'une de nos plus belles descentes post-col. Après quelques virages serrés, nous dévalons une grande vallée où coule, comme souvent, une rivière, avec, de part et d'autre, des champs et des troupeaux d'alpagas. La piste est large, lisse et blanche, fort agréable. Au bout d'un moment, nous croisons quelques habitations et… des chiens qui, pour certains, se montrent plutôt agressifs. Il faut crier fort pour que leurs maîtresses, pourtant assises devant leur maison à quelques mètres de nous, interviennent. Sur les coups de 16 heures, nous traversons la vallée par un petit pont et gagnons le côté gauche de la montagne. Nous allons remonter pendant quelques kilomètres pour rejoindre Licapa. Le village semble désert. Au bord de la grand-route, une tienda avec un petit panneau : "Hospedaje". J'entre, la dame me montre une petite chambre au bout de sa cour encombrée où se trouvent des bidons et cartons de toutes tailles et quelques poules. La pièce, sans fenêtre, sent le renfermé, et il y a deux vieux lits aux matelas creusés au milieu. Mais cela fera l'affaire ! D'autant que la pluie commence à tomber, créant un sacré tintamarre sur les toits de tôle.
Pour trouver à dîner c'est une autre affaire. La propriétaire n'a pas envie de cuisiner et nous indique la maison voisine. J'y passe une tête : le monsieur, assis à l'entrée de la pièce qui a tout l'air d'un restaurant (bar, tables avec salière et poivrière, menu au mur…), regarde un feuilleton sentimental sur son énorme télévision. J'ai l'air de le déranger furieusement. Il accepte finalement de nous cuisiner du riz. Mais une heure plus tard, après notre petit apéritif dans la cour (Ritz et bière, bien sûr), lorsque nous nous attablons, il nous sert finalement ce qui ressemble fort à un ragoût de mouton. C'est une belle journée de 54,4 kilomètres qui s'achève, que nous sommes fiers d'avoir parcouru à vélo seulement ! Mais l'ambiance peu sympathique des villages que nous traversons nous pèse… Un peu de vie sociale ne serait pas de refus ! Nous décidons donc de ne pas faire la quatrième partie de la Great Divide et de continuer notre périple par la route principale. Nous décidons aussi de rejoindre la grande ville la plus proche, Ayacucho, en bus. Les bus partent très très tôt le matin : 3, 4 et 5 heures. Nous mettons notre réveil à deux heures et, après un trajet en bus de deux heures, nous arrivons à Ayacucho lorsque le jour se lève, à 5 heures du matin. Il fait bien plus doux que dans les montagnes et, lorsque nous traversons la ville à vélo, depuis le terminal terrestre jusqu'au centre historique, l'oeil fatigué, à la recherche d'un hôtel dans nos prix, nous découvrons une ravissante bourgade à l'architecture coloniale, aux rues paisibles et claires… une ville fort différente de celles que nous avons traversées jusqu'à présent ! Après quelques recherches et un jus de fruits revigorant au marché (devant la gargotte de la siñora Inès, qui va devenir notre fournisseuse officielle de jus frais pendant notre halte à Ayacucho), nous jetons notre dévolu sur l'hôtel Mi Casa, situé non loin du centre historique. Une chambre confortable au rez-de-chaussée, avec douche chaude et wifi. Après un petit somme, nous passerons le reste de la journée à dénicher une lavanderia pour faire nos lessives, à déguster une soupe de poulet au premier étage d'un restaurant qui s'ouvre sur un agréable patio, puis à admirer la magnifique place d'armes et les nombreuses églises de la ville. En retournant nous coucher, nous croisons même… Veronica, Camillo et Jon, qui jongle pour les voitures arrêtées au feu rouge ! Ils viennent d'arriver et ont opté, eux, pour du couchsurfing. Nous leur proposons de boire un verre le lendemain.
Nos quelques jours de repos à Ayacucho seront marqués par de multiples allers-retours dans la rue principale pour faire nos diverses emplettes et corvées inhérentes au voyage, la dégustation par Baudouin d'une quantité astronomique de glaces au moka et au chocolat (qu'il trouvera toutes mauvaises), la découverte dans un très chouette petit bar sombre à la déco woodstockienne du cocktail national, le divin Pisco Sour : du Pisco, bien sûr, l'alcool péruvien, un blanc d'oeuf, un trait de jus d'ananas, de la cannelle, le tout mixé et qui arrive dans votre verre sous forme d'une délicate mousse blanche. Mention spéciale aussi à la somptueuse architecture de la ville, où il fait bon flâner à la nuit tombée, aux soupes au poulet et aux burgers hawaïens découverts par Baudouin dans un minuscule restaurant de la rue principale, où nous passons une super soirée avec Veronica, décidément très inspirante et enthousiasmante. Elle est originaire de Valparaiso, au Chili, une ville qui personnellement me fascine, et essaie de nous convaincre d'y faire un tour lorsque nous serons au Chili. Sa maman peut même nous accueillir !
Nous repartons après six jours d'arrêt, direction Abancay, mais cette fois par la route principale, qui va nous faire faire de vraies montagnes russes, mais moins haut en altitude, sur du bitume et avec, chaque jour, de quoi se ravitailler ou manger au restaurant ! A suivre !