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Great divide, opus 2 - notre quatrième semaine au Pérou

Nous quittons Chicla très tôt - 7 heures du matin - après un petit déjeuner fort copieux au bord de la grande route. Au menu, le traditionnel "caldo de gallino", soupe de poulet dans laquelle il y a des pâtes, des oignons et un œuf. Personnellement, j'adore (heureusement car on en mange très souvent) : c'est goûtu et très revigorant.

Nous avons une grosse journée devant nous : plus de 1 000 mètres de dénivelé positif pour arriver à un tout petit village au bord d'une lagune, dans lequel nous pouvons espérer déjeuner, puis l'ascension d'un col avec encore plusieurs centaines de mètres de dénivelé positif. 

Nous descendons quelques kilomètres sur la grande route, en passant par deux tunnels, entre les camions, où nous ne voyons strictement rien : très désagréable ! Puis, nous bifurquons sur un petit chemin de terre, à gauche, bordé d'eucalyptus qui sentent divinement bon. Le temps est couvert, agréable pour une ascension. Nous longeons longtemps la rivière, sur une piste plutôt bien entretenue, en terre lisse. La pente est régulière, ce qui est très agréable ! Et puis nous avons enfin résolu notre problème avec Spotify et avons téléchargé plusieurs centaines de chansons : nous montons donc en musique, ce qui est particulièrement entraînant.

Barbara, Brassens, Joan Baez, Johnny Cash, Queen, mais aussi Ravel, Bach, Wagner, Pete Doherty ou Ray Charles… ils nous accompagnent et nous mettent du baume au coeur ! Nous sommes presque étonnés d'arriver au petit village sur les coups de midi : la plus grande partie du dénivelé de la journée est réalisée ! Une gentille dame et sa fille, Rosemari, nous abordent pour que nous venions déjeuner chez elles. L'intérieur de la petite maison est rustique, encombré, mais chaleureux. Le banc en bois sur lequel nous nous asseyons est recouvert d'une épaisse peau de mouton et un tout jeune agneau, maigrichon, gambade sous la table. La siñora commence à couper des pommes de terre pour nous faire des frites et nous prépare une truite sauvage fraîchement pêchée dans la lagune pour moi et un morceau de viande pour Baudouin. Délice ! Nous redemandons même une tournée de frites. 

Repus, nous reprenons la route direction le col. Une belle montée, moins régulière que la première, nous attend… les lacets sont corsés ! Quelques flocons de neige nous tombent dessus, bien plus agréable et joli que de la pluie. Au bout de deux bonnes heures, nous décidons de planter la tente dans une plaine où coule un minuscule ruisseau. Nous sommes encore à cinq kilomètres du col, le froid et la fatigue s'installent. Il y a une sorte de bergerie à l'abandon plus haut, que je monte explorer : qui sait, peut être pourrait-on planter la tente dedans, à l'abri ? Peine perdue ! Elle est très basse de plafond, sent fort la crotte d'alpaga et le sol est jonché de vieilles… boîtes de thon. Étrange. Nous installons donc notre chère petite tente, et nous nous mettons bien vite à l'abri car le vent siffle et de petits flocons de neige nous tombent sur le nez. Au menu, est-il utile de le préciser ? Des pâtes ! 

Le lendemain matin, après un petit déjeuner à base de café flottard et de porridge que Baudouin toise avec tristesse, nous partons à l'assaut du premier col, Punta Ushuayca (4 930 mètres) qui n'est plus qu'à quelques kilomètres. Et quelle vue ! Nous voyons les cimes enneigées, qui semblent si proches… et en descendant sur la piste de terre rouge parfaitement lisse, une lagune émeraude nous fait de l'œil. Belle récompense ! Encore une fois, le paysage de la cordillère centrale se mérite… Et on ne regrette aucun kilomètre.

Après quelques kilomètres dans la vallée, où nous croisons les habituels picks-up et camions miniers, il est temps de monter… le deuxième col. Cette fois, c'est nettement moins agréable : déjà, je tente de faire comme Baudouin qui traverse avec panache un petit ruisseau en roulant à toute allure, mais je pile au milieu et ma chaussure est trempée. Un détail, mais fort désagréable en altitude ! La piste est très caillouteuse et les lacets abrupts. Il n'y a pourtant que 8 kilomètres jusqu'au col… Nous sortons le réchaud à moins de 5 kilomètres du sommet. Un plat de pâtes devrait nous redonner de l'énergie. Or, à peine Baudouin a-t-il allumé le feu que… le tonnerre gronde. Tout autour, les sommets sont couverts de gros nuages noirs. Nous ne sommes pas fiers. Que faire ? Nous déjeunons rapidement, l'oreille aux aguets. Redescendre ? Je n'en ai pas envie. Baudouin aperçoit une grotte, plus haut. S'y réfugier ? J'avoue : j'ai peur qu'elle abrite une famille d'ours (oui, c'est idiot), ce qui énerve Baudouin ! Finalement, nous décidons de repartir et de nous dépêcher. Enfin… autant que le dénivelé et l'altitude nous le permettent ! Le tonnerre aux trousses, nous poussons parfois nos vélos quand la pente est trop raide et nous sommes essoufflés. 

Arrivés en haut (enfin !), nous sommes ravis et surtout rassurés : le tonnerre gronde encore, mais à nous la descente et une soirée dans un village. Sous d'immenses nuages noirs, nous dévalons en moins de deux heures la piste de terre blanche qui scinde en deux une magnifique plaine marécageuse. La piste nous mène à Tanta, situé au bout d'une très grande lagune que nous longeons sur plusieurs kilomètres. Un petit cimetière à été aménagé juste là : voilà une bien jolie dernière demeure. 

Nous arrivons passablement fatigués ! Dans la rue principale du village, quelques femmes qui filent de la laine d'alpaga et de mouton sur des quenouilles rudimentaires. Un seul hébergement est ouvert : une petite pension familiale. Au fond de la cour fleurie (c'est la première fois que nous voyons un jardin un peu aménagé depuis le début de notre voyage !), une chambre avec deux lits couverts d'édredons de laine et l'habituel plafond bas recouvert d'une bâche en plastique. Nous pouvons même prendre une douche presque chaude ! Baudouin file nous acheter des Ritz à la tienda pour un petit apéritif mérité et le soir, dans la petite salle commune de la pension (où la grosse télévision diffuse une fois encore, et à plein volume, un téléfilm où une même famille vit 75 drames au quart d'heure), nous dînons : au menu, du lomo saltado, spécialité du pays. Il s'agit de morceaux de bœuf coupés fins revenus avec de grosses lamelles d'oignon rouge, de la tomate, du persil, parfois du piment, mélangé à des frites et servi avec du riz. C'est souvent très bon sauf ce soir-là : viande immangeable ! Nous laissons donc les morceaux de "carne" dans l'assiette, prenant le risque de vexer la cuisinière et commandons en plus le fameux "arroz a la cubana". Chaque dîner est accompagné d'une tasse de tisane bien chaude - camomille, anis ou cannelle -, ce qui est très agréable...

La journée du lendemain s'annonce prometteuse et nous frétillons d'impatience ! Direction Vilca et Huancaya, deux petits villages situés respectivement à une trentaine de kilomètres (avec essentiellement de la descente) pour le premier, et une cinquantaine pour le second. D'après nos lectures, il s'agit de l'une des plus belles parties de la Great Divide. Lorsque le couple d'anglais qui a inauguré la Great Divide péruvienne, en 2013, a emprunté cette route, c'était l'un des tronçons les plus difficiles du parcours car il n'y avait… pas de route ! Il fallait manoeuvrer sur un tout petit chemin semé d'obstacles : pierres, eaux, végétation, et bien souvent porter le vélo. La piste est récente : moins de cinq ans, et change complètement ce bout de parcours. Nous avons donc de la veine. Le chemin est magnifique : nous longeons un petit ruisseau vert émeraude qui coule au fond d'un petit canyon. Au bout de quelques kilomètres, le canyon se transforme en marécage. On y voit des chevaux, flamands roses et beaucoup d'autres oiseaux dont nous ne connaissons malheureusement pas le nom. Quelques petites cascades, puis une lagune qui alimente… un spectaculaire marais à mangrove qui se déverse en une myriade de petites cascades dans d'autres marais verts. 

C'est donc éblouis que nous pénétrons dans le petit village de Vilca. Nous comptons bien y déjeuner, mais... le village est totalement vide. Personne, tout est fermé. Arrivés sur la petit place, nous frappons à quelques portes, mais sans réponse. Jusqu'à ce qu'un petit homme moustachu chaussé de boots blanches vienne vers nous, l'air mécontent. Il nous explique que tout est fermé "dans la région" à cause de la pandémie : interdiction de vendre eau et nourriture. Les habitants se font ravitailler une fois par semaine par camion, il nous faut partir. Il nous indique la barrière qui barre la rue principale : "dehors !". Or, il fait diablement chaud et surtout nous n'avons qu'un repas dans nos sacoches car nous avions prévu de nous ravitailler ici. Le village suivant, Huancaya, est à une vingtaine de kilomètres avec un beau dénivelé et le type nous dit que la situation est la même. Pas moyen d'avoir des infos plus précises, rien n'est indiqué. Nous n'avons encore rencontré aucun problème de ce type au Pérou. C'est un peu la panique. Retourner à Tanta ? Tenter notre chance dans le village suivant ? Nous nous asseyons au bord de la piste pour réfléchir, sous l'œil courroucé du monsieur. Le ton monte entre lui et Baudouin : il est inflexible et veut que nous partions immédiatement, mais nous ne pouvons avoir internet (et donc des explications) que sur la place du village.

Soudain, j'aperçois un pick up blanc. Le seul de la journée ! Je bondis. Les deux chauffeurs sont dans le coin pour essayer de vendre leur chargement : deux gros matelas et des… rotofils et tronçonneuses. Ils vont dans la direction de Huancaya et devant ma mine déconfite, acceptent de nous prendre. Nous chargeons les vélos à l'arrière et montons avec eux. Ils n'en savent apparemment pas plus que nous sur la situation sanitaire dans ce district. La route qui mène au village suivant est vertigineuse, à flanc de montagne, et pleine de cailloux et d'ornières. Heureusement, notre chauffeur s'y connaît. Arrivés au village suivant, même topo : tout est fermé et des barrières contrôlent les voitures qui passent. Que faire ? Nous décidons de poursuivre en voiture jusqu'à la grande ville du coin : Huancayo. Il nous faudra 5 heures pour y arriver, le pick up passant par des gorges sombres où coule une rivière bordée de grands arbres et des cols haut perchés et désertiques où siffle un vent glacial avec des reliefs, comme souvent à cette altitude, à couper le souffle. Quel changement de programme… Nous sommes un peu déconfits, coincés sur la banquette arrière entre nos sacoches et des tronçonneuses en pièces détachées. Arrivés à la nuit tombée à Huancayo, ville bruyante et peu agréable, nous laissons un billet à nos compagnons et partons à la recherche d'un hostel. Conseillé sur un blog de voyageurs à vélo, l'hospedaje Las Americas fera l'affaire. Un patio central bruyant, une chambre sans fenêtre mais propre avec salle de bain et pas trop chère. Nous posons notre barda et sortons manger : Baudouin a repéré une petite pizzeria dans une rue sombre, pour nous remonter le moral. En réalité la situation s'est plutôt bien goupillée, mais nous ne pensions pas, en partant le matin, quitter ainsi la Great Divide et nous retrouver dans une grande ville le soir venu ! 

Nous passerons donc deux jours à Huancayo : le jeudi et le vendredi. Il faut démêler la situation. Où pouvons-nous reprendre la Great Divide sans se retrouver confrontés à la même situation ? J'en profite également, quitte à être en ville, pour essayer de rencontrer des musiciens et réaliser, pourquoi pas, un petit reportage. Bingo, une école de chant et le conservatoire me répondent, j'ai des rendez-vous dans la journée et le lendemain. Nous faisons nos lessives, allons profiter du gigantesque marché, le deuxième du Pérou, après celui de Lima, et notamment des délicieux jus de fruits frais que proposent les échoppes dans l'allée qui jouxte celle des triperies. En fond sonore, un bruit de scie électrique qui découpe des carcasses et par-dessus, les "mamita !" des senoras des gargotes à jus de fruits qui nous font signe de la main de s'asseoir sur leurs tabourets. Plus loin, une cuisinière bavarde qui avait étudié l'anglais à l'université nous fait goûter de succulents pancakes locaux tout en nous parlant de ses trois mariages : un vrai personnage ! 

Le samedi matin, après un rapide desayunos au marché, il s'agit de trouver un chauffeur pour nous emmener nous et nos vélos plus haut dans la montagne, au petit village de Cioche, qui nous permettra, après une journée de vélo ou une heure de voiture, de retrouver la Great Divide. Après un peu d'attente, nous embarquons dans la Peugeot break de Luis, qui a réussi à caser les deux vélos et nos sacoches dans son coffre, qu'il referme à grand renfort de ficelle et de carton. Nous sommes tous les deux à l'arrière, à côté d'une maman qui allaite son bébé, sa fille de six ans installée sur ses genoux. Luis conduit comme un fou et la route monte, monte… Il faut avoir l'estomac sacrément accroché. Nous nous concentrons sur le compteur de vitesse dont l'aiguille… n'indique pas la vitesse mais bat la pulsation de la musique que crachent les enceintes. Étonnant… 

Cioche est un petit village situé sur une grande plaine, en haute altitude, entouré par les montagnes. Le village est assez triste, le temps gris et humide. Au loin, on entend une fanfare qui va jouer la même mélodie toute la journée : il y a une petite fête de village.. Un petit papy dur d'oreille a disposé quelques tables dans son jardin et sert des assiettes de poulet au vin pour le déjeuner. C'est fameux ! Nous déjeunons et essayons de faire du stop pour nous faire déposer au col suivant, à 40 kilomètres, à l'endroit où l'on retrouvera la Great Divide. Peine perdue. Quelques picks-up passent, tous pleins, et ils ne vont pas jusqu'au col. Nous attendons donc plusieurs heures au bord de la piste, sous une petite pluie fine : il fait fort froid. Un monsieur vient nous parler, il travaille dans le contrôle qualité des fromages péruviens et il est passionné par les fromages français ! Son amie, qui tient une minuscule tienda à deux pas, propose de nous abriter de la pluie pendant que nous guettons les voitures et les camions. Elle et une autre femme n'arrêtent pas de mâcher des feuilles de coca et semblent légèrement… stones ! Au bout d'une nouvelle heure, il faut se rendre à l'évidence : nous allons dormir ici. Nous nous dirigeons vers la petite place du village. Là, une sorte de caserne. Nous frappons à la grande porte métallique et un homme descend : il est ouvrier et dort au premier étage. Il nous propose de nous installer au rendez-de-chaussé, entre une benne à ciment et une ribambelle de poubelles vides. Banco ! Nous serons à l'abri et il y a même des lavabos. Sans compter que notre chauffeur, Luis, vient de revenir pour voir comment nous allons : adorable ! Il nous a apporté de gros et succulents beignets et demande à une amie du village de nous amener un reste de soupe dans... un seau. Nous lui demandons si à tout hasard il accepterait le lendemain matin de nous amener au col, pour que nous puissions retrouver notre route. C'est ok, il doit de toute manière monter au village à 6h30. Après l'avoir précautionneusement reniflée, nous décidons de ne pas manger la soupe, qui nous semble douteuse, et nous nous faisons chauffer des spaghettis avant de nous installer douillettement dans nos duvets.

Réveil à l'aube et motivés pour reprendre la route ! Luis arrive avec une trentaine de minutes de retard, mais fidèle au poste. Nous parcourons donc la quarantaine de kilomètres qui nous sépare de la Great Divide en voiture. La piste est truffée de pierres et de gros trous, mais Luis conduit en expert. 

Lorsque nous arrivons au col, il fait très froid et la piste est sacrément boueuse. Après une accolade et une petite photo avec Luis qui restera vraiment une belle rencontre péruvienne, nous enfourchons nos montures. Il est plus que temps de se remettre à pédaler ! 

La journée sera très agréable : piste boueuse au début mais finalement lisse et large, dénivelé plus que raisonnable et bien reparti et, surtout, des paysages à couper le souffle que nous retrouvons avec un immense plaisir. L'heure du déjeuner approche et nous jetons notre dévolu sur une vallée couverte de mousse avec une lagune qui devient orange vif quand les nuages laissent passer les rayons du soleil. Nous parcourons donc sans trop de peine les 50 kilomètres qui nous séparent du village d'Acobambilla, si ce n'est un vigoureux mal d'estomac qui me gâche un petit peu cette belle journée. Le soleil décline quand nous entamons la longue descente vers le village enclavé, et nous retrouvons la végétation : eucalyptus qui sentent divinement bons, champs de blé… le village est très agréable, situé au bord d'une rivière ombragée. Suivant les recommandations de l'application IOverlander, nous allons frapper à la porte de la Señora Marjorie, qui loue des chambres pas chères avec eau chaude. Elle nous installe au fond de son jardin, le lit "double" est minuscule alors Baudouin préférera dormir par terre, sur son matelas thermarest ! Au menu pour le dîner, à l'arrière de la tienda de Marjorie : un arroz à la cubana assez moyen, puis dodo ! 

Le lendemain, lorsque le réveil sonne à 6h30, j'ai du mal à sortir de mon lit. Nous décidons de rester une journée au village. Nous prenons nos repas au restaurant d'une dame à la mine grognon mais néanmoins sympathique, Rebecca, rencontrons Eda, une employée de la mairie qui est aussi chanteuse et qui souffre de la maladie des os de verre. Après l'interview, nous lui proposons de venir dîner avec nous et elle passera le repas… au téléphone ! Nous sortons du restaurant assez perplexes. 

Le lendemain, réveil à l'aube, petit déjeuner copieux (riz et viande en sauce chez Rebecca) et nous attaquons les deux derniers jours qui nous séparent de Huancavelica, ville qui sonne la fin officielle de la deuxième partie de la Great Divide. Le midi, nous déjeunons dans le tout petit village de Viñas, dans un petit restaurant ouvrier situé au bord de l'unique rue. La cuisinière surgit avec les plats du jour par une trappe située au sol et tous les travailleurs nous regardent en aspirant de grandes cuillerées d'une délicieuse soupe au céleri. Nous prolongeons la pause avec un paquet de biscuit acheté à la tienda, puis reprenons la route jusqu'au village de San Miguel. Et ça monte sec ! Mais la piste est agréable : elle longe une rivière et surtout nous sommes dans des espèces de gorges. Les parois de la montagne nous encerclent, impressionnantes. 

Après quelques virages sacrément costauds, nous arrivons à destination. Un gentil monsieur nous indique la cour de l'école, fermée à cause de la pandémie, pour monter notre tente. Et la voisine propose de nous cuisiner, pour dîner, une soupe… d'alpaga ! Nous négocions plutôt un bon vieux arroz a la cubana. Nous dînons dans un jardin où sont disposées quelques tables en bois recouvertes de toiles cirées. Il fait sacrément froid et nous mangeons emmitouflés dans nos doudounes. Le patron nous informe qu'une fête de village va commencer en haut de la grand-rue, vers l'église, avec une banda (fanfare) locale. Chic ! Nous fonçons prendre mon enregistreur et marchons dans la nuit étoilée vers la petite église. Quelques personnes attendent et deux adolescents nous invitent à la suivre dans une petite ruelle obscure derrière l'église, poussent une porte en tôle… nous voici dans une petite pièce au sol de terre battue, basse de plafond et éclairée par une ampoule blanche. Quelques personnes sont assises sur des sacs de grains et sirotent un bouillon en nous saluant de la main. Les deux ados nous invitent à nous asseoir, nous sourient et une dame nous apporte un bol de ce fameux potage qui sent fort la chèvre centenaire. De l'alpaga ! A ma droite, un grand clapier où s'agitent des dizaines de cochons d'Inde. L'ambiance est chouette, et je prie Baudouin, qui mange son deuxième dîner, de prendre aussi ma soupe. Il refuse, mais l'un des ados est ravi d'avoir une deuxième part. Ils adorent le football et nous posent plein de questions sur les joueurs du PSG (notre grande spécialité). Baudouin essaie de les convertir au rugby en leur montrant, malgré le mauvais réseau, une vidéo des "plus beaux essais du XV de France". On entend les trompettes et trombones qui répètent dans la pièce d'à côté. 

Nous ressortons dans le froid et suivons quelques personnes dans une autre rue sombre. On pousse une autre porte et entrons dans l'église évangélique. La banda commence à jouer et… mon enregistreur sature. Que c'est fort ! Baudouin se hâte de fabriquer des boules Quies de fortune. Les musiciens ont l'air assez peu enthousiastes malgré le tintamarre. Nous ne resterons pas jusqu'au bout (note du relecteur : c'est un euphémisme !) car une grosse journée nous attend le lendemain (et aussi car, il faut l'avouer, nous n'arrivons pas à apprécier à sa juste valeur la musique). 

Réveil aux aurores, repli de la tente, arnachage des vélos, arroz a la cubana… nous partons rejoindre Huancavelica, qui se mérite puisque le col qu'il nous faut franchir aujourd'hui n'est pas une mince affaire. La piste est rude, longue et je pousse parfois mon vélo. Nous croisons plusieurs troupeaux d'alpagas blancs et leurs bergers, au look de cow-boy, qui nous encouragent avec de grands sourires. La montagne est toujours aussi belle et majestueuse, avec ses flancs tantôt abrupts et gris, tantôt doux et recouverts d'herbes folles couleur ocre. 

Nous arrivons à Huancavelica vers 14 heures, un peu étourdis par l'effort de cette bonne demi-journée et retrouvons la ville et son agitation pour trois jours de repos. Rendez-vous dans le prochain article !