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Monts et merveilles : notre troisième semaine au Pérou

Nous attaquons doucement la troisième semaine du périple, après une grosse baisse de moral : nous commencons avec seulement 13km (et 500m de dénivelé positif quand même, nous sommes au Pérou), jusqu'au petit village de Parquin. Là, on nous conseille de demander l'hospitalité à un certain Igor. Le parrain de la mafia locale ? Non, le propriétaire d'une des tiendas du village, qui peut nous héberger dans la petite masure devant laquelle il garde... trois vaches et deux gigantesques taureaux ! Dans la pièce aux murs bleus, deux vieux lits en fer recouvert de matelas de laine et d'un tas de plaids. Le midi, la siñora Marjorie accepte en bougonnant de nous servir une soupe au poulet et un plat de spaghettis dans la pénombre de sa cuisine, dont les murs sont recouverts de portraits d'icônes aux couleurs criardes et de vieux calendriers périmés. Elle retrouve le sourire quand nous lui posons quelques questions et… que nous payons !

Le soir, pour remercier Igor, nous faisons la popote pour lui et son fils Ronaldo dans leur cuisine éclairée par un faible néon. Des pâtes aux tomates, aux olives et au céleri avec des morceaux de poulet d'une couleur douteuse qu'il nous propose de rajouter au dernier moment. Nous dînons dans un silence relatif : ils ne sont pas bavards ! Néanmoins, j'arrive à faire parler Igor lorsque je lui demande ce qu'il fait du lait de ses vaches : du fromage frais. 

Nous allons nous coucher en souffrant du manque de douche et de toilettes : nous avons tenté de faire un brin de toilettes dans les WC d'Igor, mais la petite pièce était dans un tel état de saleté… bref, on se couche en écoutant nos voisines les vaches se promener dans le tout petit jardin qui leur sert de pré.

Le lendemain, réveil aux aurores : 5h30. Nous voulons partir tôt. Au programme : Abra Chucopampa, col qui culmine à 4858 mètres. Il paraît que c'est le col le plus difficile de cette première partie. Il est suivi d'une belle descente et d'une autre grande montée, puis de deux jours de vélo en autonomie en altitude, au-dessus de 4500 mètres. Nous filons chez Igor qui nous a autorisé à utiliser sa cuisine pour faire cuire notre omelette et notre porridge. Lui est déjà au travail depuis 4 heures du matin. 

Au moment de partir, après avoir monté la grosse côte qui permet de sortir du village, nous croisons une grosse voiture… la tentation est grande : nous posons la question à son propriétaire, "Est il possible de nous emmener en haut du col avec nos vélos ?" Nous sommes encore fatigués et nous avons pris un peu de retard que nous aimerions rattraper. Ce sera notre joker sur cette première partie… Hubert, le propriétaire, est sympathique mais dur en affaires. C'est 100 soles ! Non, nous négocions et le voilà qui charge nos montures sur le toit de sa voiture. Je monte à l'avant, Baudouin à l'arrière, et c'est parti pour l'ascension du col avec moteur cette fois, au son de la salsa. 

Le soleil brille mais il fait fort froid lorsque Hubert nous dépose au sommet ! 

Nous chargeons nos vélos et nous voilà partis pour la descente, sans avoir encore fourni aucun effort. Il ne faudrait pas y prendre goût... Arrivés en bas - après plusieurs kilomètres sur une piste tantôt de terre rouge et lisse, tantôt de cailloux gros comme des patates -, nous sommes de retour sur une route fréquentée, qui longe une rivière et plusieurs enclos de pierres où sont installés ânes, moutons et chevaux. Nous avons devant nous quinze bons kilomètres de montée et 700 mètres de dénivelé positif. Nous commençons à monter quelques lacets puis… arrêtons un gros truck qui accepte de nous monter. Anthony et Kennedy sont péruviens, ils sont ouvriers et travaillent sur le chantier routier, en haut. Ils nous aident à charger les vélos à l'arrière, les arnachent solidement avec de la grosse corde et nous voici sur la banquette arrière, nos sacoches sur les genoux. Nous parlons essentiellement de… gastronomie ! Ils nous font la liste de tous les plats que nous devons goûter avant de quitter le Pérou. Essentiellement du cochon : grillé, frit, rôti, en sauce…

Ils nous déposent entre deux lagunes, en haut d'un petit col. Là, nous nous abritons du vent et de la poussière de la piste derrière un talus pour faire cuire nos pâtes. Puis… On reprend la route, à vélo cette fois. Le paysage devient vite somptueux : immenses lagunes bleu profond, vallons dorés, terre rouge sang… Nous pédalons vaillamment pendant trois heures, soulagés par le dénivelé relativement doux, en moyenne. A 17 heures, il commence à faire froid. Nous n'allons pas pouvoir atteindre le col suivant et recherchons un endroit pour la nuit. Il faut être vigilant : les terrains plats ont l'air douillets mais sont en réalité… d'immenses marécages ! 

En montant encore un petit peu, on tombe sur un petit terrain de sable, au bord du chemin, bordé par un petit ruisseau qui coule doucement. Tente, affaires de nuit, petite toilette chacun son tour sous l'abside… la température chute drastiquement et il fait un froid de canard au moment où nous commençons à faire notre riz. Ce sera sans doute notre nuit la plus froide (jusqu'à présent). Nous lisons ensuite douillettement emmitouflés dans nos duvets de compétition et dormons relativement bien. 

Le lendemain matin, c'est une autre affaire. A sept heures, le soleil n'est toujours pas venu réchauffer nos carcasses - c'est une journée nuageuse - et il faut bien songer à lever le camp. Une grosse journée nous attend : plus de soixante kilomètres jusqu'au village de Marcapomococha, où nous aurons l'assurance d'une vraie chambre et… d'un dîner au restaurant ! Le repli de nos affaires est pénible : nous sommes frigorifiés, avec les mains et les pieds qui brûlent de froid. Nous reprenons tout de même la route, dans une sorte de brouillard. 

Nous roulons donc avec un dénivelé raisonnable, dans un décor assez incroyable : au bord de la piste, les grandes canalisations qui acheminent l'eau de la montagne jusqu'à Lima. Nous croisons seulement quelques gros camions chargés de l'entretien de la route, longeons des lagunes et des vallées où broutent lamas et vigognes. 

Nous roulons jusqu'en début d'après-midi, au milieu de véritables highlands : les lagunes bleues, aux bords rouge sang et blanc font penser à des lochs, avec, de temps à autre, de minuscules maisons bleu vif. Vers quatorze heures, nous atteignons un premier petit village où nous parvenons à nous faire servir un plat de riz avec un oeuf. Il nous reste une quinzaine de kilomètres jusqu'à Marcapomacocha. Nous reprenons la route… et nous avons bien fait ! Cette deuxième partie de journée est magnifique, le soleil perce parfois les nuages projettant sa lumière ambrée sur les montagnes et l'altiplano. Nous apercevons le village de l'autre côté de l'immense lagune qui vient d'apparaître, au détour d'un virage. Nous longeons donc l'eau claire dans une odeur d'embruns au son du cri des mouettes (étrange, si haut) et arrivons enfin à Marcapomacocha. Le village est fort accueillant, nous nous y sentons bien : sur la place, les propriétaires d'une tienda qui regorge de fruits frais tiennent aussi un petit hôtel. Ils sont très gentils ! Nous nous y installons pour la nuit et achetons des mangues au parfum enchanteur. Puis nous allons déguster une truite de la lagune dans un petit restaurant discret mais chaleureux. Une belle journée malgré un démarrage glacial ! Ça y est, nous avons fini la première partie de la Great Divide… Quelle émotion ! 

Le lendemain, après un petit déjeuner à base d'oeufs et de sandwichs au fromage frais, il s'agit de trouver un transport pour nous rendre à La Oroya, grande ville minière située à près de trois heures de voiture, où nous attendent de nouvelles chaînes de vélo et où nous voulons nous délester de quelques affaires pour attaquer la deuxième partie du périple péruvien plus légers : un impératif si nous voulons continuer à monter des cols sur des pistes ingrates. On nous dit qu'un petit bus de huit personnes va venir vers 13 heures. Hélas, c'est la ruée : pas de place pour nous, nos deux vélos, nos huit sacoches et notre armada de gourdes. Que faire ? Un jeune homme, Angelo, et une jeune ingénieure, Luz, sont dans le même pétrin : ils veulent aussi arriver à La Oroya le soir. Après près de deux heures de coups de fil, Angelo trouve un chauffeur. Il nous propose d'abord un prix astronomique, puis nous négocions tous ensemble. Trente sols par personne, no mas! En route. Il est 17 heures, le jour décline. Nous traversons des paysages hallucinants à bord du petit van au moteur vieillissant. A deux reprises, la boîte de vitesses se bloque, nous faisant craindre de passer la nuit entassés dans le véhicule, en pleine montagne, alors que dehors, il neige à gros flocons. Nous montons, montons, dans un décor blanc et rouge, au soleil couchant, bouche bée. Le relief varie sans cesse : conique, pointue, taillée à la serpe, la montagne se découvre en une myriade de formes. Traverser ce paysage à vélo doit être grisant… petit pincement au coeur ! 

Plus de trois heures plus tard, nous arrivons à La Oroya. Outre la première partie, somptueuse, le reste du trajet, de nuit, est pénible : les Péruviens conduisent comme des dingues, et nous slalomons entre de gigantesques camions qui reviennent des mines alentour chargés de charbon ou de grosses pierres, ballotés sur la banquette arrière. 

Nous arrivons finalement à La Oroya vers vingt heures. La camionnette s'arrête devant un hôtel que Baudouin avait repéré sur Internet : El Trujillos. Des chambres propres, des draps propres, une salle de bain avec eau chaude… De quoi se reposer pendant deux jours ! Nos affaires déposées dans la chambre et nos vélos attachés au sous-sol, nous filons dans le petit centre-ville, à la recherche d'un repas calorique pour fêter tout cela. Au menu : une immense pizza et un burger poulet-steack-saucisse-oeuf chez Dr. Jhons, restaurant conseillé par la jeune femme de l'hôtel. 

La journée du lendemain est consacrée à quelques corvées : banque, courses nécessaires au voyage (de la benzina ou essence domestique, pour notre réchaud, des snacks etc.). Nous allons chercher notre colis chez la compagnie de bus Marvisur : Arturo de Huaraz nous a envoyé deux nouvelles chaînes. Et nous effectuons un tri de nos sacoches. Objectif : se délester du plus de poids possible. Nous passons de huit à six sacoches et envoyons le surplus à Abancay, ville qui sonne la fin de la Great Divide et que nous comptons atteindre début octobre. La Oroya n'est pas aussi désagréable que nous le craignions : malgré sa réputation de ville minière très polluée, quelques petites fontaines et bosquets de fleurs agrémentent le petit centre et notre hôtel douillet est à nos yeux un vrai petit havre de paix. Sans compter qu'il y a quelques bons petits restaurants : à midi, nous dejeunons d'une truite et de bananes plantains frites chez Michelin et pour le dîner, nous testons le chicharon : morceaux de couenne de porc frit avec des oignons rouges, de la menthe et de gros grains de maïs blanc. La cuisinière nous apporte même un petit digestif censé faire oublier à notre corps le gras de la couronne frite. C'est fort ! Baudouin vaillant et moi légèrement pompette sortons bras dessus bras dessous nous acheter quelques pralines (manis, ici) avant de rentrer à l'hôtel profiter de notre dernière nuit dans des draps douillets avant de reprendre la route, en forme et l'enthousiasme retrouvé. 

Le lendemain, nous sommes dimanche et nous cherchons une voiture pour nous emmener à Chicla, à une trentaine de kilomètres. C'est de la route très fréquentée, avec des tunnels, donc pas idéale à vélo. Le petit village de Chicla nous permettra de retrouver la Great Divide et d'en commencer la deuxième partie. A Chicla, jolie petite commune colorée située au bord de la rivière qui coule à gros glouglous, un gentil monsieur de la mairie nous propose de nous installer dans le bâtiment réservé au marché, fermé à cause du coronavirus. Un vaste bâtiment jaune de deux étages où il y a des dizaines de boxes qui s'ouvrent et se ferment comme des garages. Pas d'électricité, mais un lavabo. Nous choisissons le box numéro 21 et y déballons nos affaires. Chicla, ce qui écorne un petit peu son charme, est aussi située au bord d'une route nationale menant à Lima : la ville est par ailleurs traversée par un impressionnant chemin de fer, ce qui veut dire qu'on y entend sans cesse les freins crissant des locomotives et les klaxons sonores des grands camions. Une bande-son digne d'un film d'épouvante ! Il pleut et il fait fort froid quand nous sortons dîner dans l'un des petits restaurants qui se trouvent au bord de la grand-route et qui sont ouverts toute la nuit pour les routiers. Mais nous sommes contents de nous attabler au chaud ! Une truite et un plat de pâtes au poulet pour moi, un grand plat de riz au cochon pour Baudouin. Nous retournons nous coucher dans notre box et sommes impatients et curieux de commencer demain la deuxième partie de la Great Divide : apparemment la plus belle… et la plus délicate !