Nous quittons Lemon Trip après trois jours de repos et Pablo décide de faire un bout de chemin avec nous ! Direction Zumba, au sud, à quelques vingt kilomètres de la frontière avec le Pérou.
La première journée est plutôt tranquille : nous descendons vers la très populaire Vilcabamba, petite ville très touristique nichée au bord de la rivière, entourée de plantations de café. Il fait clairement plus chaud et l'ambiance annonce la jungle. Vilcabamba est prisée des Américains, anciens de la Nasa, anciens hippies ou familles aisées qui ont acheté une belle propriété avec piscine. Sur la petite place, un groupe de musiciens argentins joue quelques morceaux aux passants. Nous faisons quelques courses pour le repas du soir : spaghettis, légumes, yaourt et même une grosse pastèque que Pablo transporte vaillamment dans son sac. Il nous emmène ensuite dans son adresse fétiche : Rumi Wilco, écolodge situé au pied de la montagne, au bord de la rivière, dans une ambiance tropicale à souhait. Les cabanes sont chères, mais pour quelques dollars, on peut y planter sa tente et profiter de la douche chaude située en plein air (avec un petit rideau recouvert d'immenses sauterelles) et de la cuisine commune. L'endroit est génial ! Il est tenu par Alicia, qui est argentine, et son mari, depuis plus de trente ans.
Nous installons nos tentes en écoutant de la musique diffusée par l'enceinte portative de Pablo, et nous faisons la popote dans la cabane-cuisine. On sent que les hautes herbes et les berges de la rivière abritent pas mal de bestioles… d'autres campeurs s'installent, dont un petit groupe qui va littéralement saboter notre nuit : musique jusqu'au petit matin et forte odeur de marijuana équatorienne.
Nous nous réveillons donc… épuisés. Et plutôt furax. Après un début de matinée sous le signe de la mollesse, nous nous mettons en route. Pablo, qui est parti de son côté, a dit qu'il nous rejoignait. On le retrouve quelques heures plus tard, dans un petit restaurant de bord de route. Nous nous arrêtons pour une soupe typique : une "encebollata", soupe aux patates, aux oignons rouges et au thon. Baudouin n'est pas conquis, moi si ! Juste avant de se remettre en selle, on s'aperçoit que j'ai droit à la première crevaison du voyage : il faut réparer ma chambre à air arrière sur le bord de la route.
Nous avons à peine pédalé quelques kilomètres, avec devant nous de grands reliefs sculptés par l'érosion, que c'est la chaîne de Pablo qui casse ! Heureusement, nous avons dans nos sacoches quelques maillons rapides (merci à Matthieu et Benjamin !)
Un peu d'huile de coude et deux heures de route plus tard, nous arrivons au village où nous comptions déjeuner. Il est 15h30 ! On décide de s'y arrêter pour la nuit, d'autant que Pablo connaît un endroit sympathique pour s'installer : la Casa de Marco, une sorte de bar guinguette en bois, à l'abandon et ouvert sur l'extérieur, avec des toilettes (en piteux état certes). Parfait! Il installe sa tente en bas et nous prenons nos quartiers dans la sous-pente à l'étage. Le cabanon est couvert de vieilles affiches hétéroclites : Charlie Chaplin, Harry Potter… On installe le réchaud sur le bar pour cuisiner les légumes achetés au marché le matin et nous tournons le premier "Buena Onda cooking show" pour notre petit compte Instagram !
La journée qui commence va être intense. Après un petit déjeuner copieux dans le petit Mercado central, nous achetons quelques oeufs, des petits pains et des tomates pour le pique-nique et vamos ! Pablo nous prévient : ça va grimper. Osmand, notre application GPS, donne le la : plus de 2000m de dénivelé positif nous attendent. Gloups !
Nous commençons par monter sur une route de terre, assez raide, mais les mollets fringants. Très vite, à mesure que nous gagnons de l'altitude, la vue devient de plus en plus impressionnante et la route difficile : les montagnes, immenses, s'étalent à perte de vue, couverte d'une végétation luxuriante. Nous sommes au coeur de l'immense parc national Podocarpus. Le vent se lève, si violent que nous devons parfois pousser le vélo. La pluie arrive elle aussi, drue et glaciale. Les nuages recouvrent la montagne, on n'y voit bientôt pas plus loin que le bout de son nez. Au bout de trois heures, je suis frigorifiée : sans que je m'en rende compte, la pluie est passée à travers mon casque sous mon imperméable : je suis trempée de la tête aux pieds. Et la pente continue, encore et encore. Quand nous arrivons sur la crête, le vent est plus redoutable encore. Nous commençons la descente mais le froid relatif me glace encore plus, je n'arrive plus à avancer. Baudouin est trempé et commence aussi à avoir froid. Nous apercevons un terre-plein au bord de la route. On décide de s'arrêter et de monter la tente pour se réchauffer.
Quelques minutes plus tard, nous sommes emmitouflés sous le duvet, grelottants. Enfin je le suis ! Baudouin et Pablo font gentiment chauffer le réchaud pour cuire les oeufs sous le poncho de Pablo.
Nous mangeons en silence sous la tente. Pablo claque des dents. Que faire ? La pluie ne cesse pas et nous sommes trop trempés pour continuer. Attendre le bus ? C'est rageant, nous avons fait quasiment tout le dénivelé positif, il ne reste quelques centaines de mètres de route avant la grosse descente. Tant pis ! Nous restons sous la tente, que l'on démonte de l'intérieur, prêts à bondir quand on entendra le bus !
Nous arrivons donc dans la petite ville de Valladolid, 9 kilomètres plus loin, en bus. Il s'agit maintenant de trouver un endroit sec pour planter notre tente. Nous attendons un petit peu devant l'église, où Baudouin fait des tours de magie aux enfants curieux qui viennent nous demander ce que nous faisons avec nos vélos.
Nous passerons finalement la nuit chez Julie, Hugo et leurs trois filles, Lily, Sheila et Marie-Elisabeth, une super famille qui nous propose de nous installer dans la pièce qu'il ont de libre chez eux et de prendre une douche chaude. Joie !
Julie est chef. Je propose d'aller acheter de quoi dîner tous ensemble. Cuisses de poulet, riz aux oignons, purée et ananas : nous passons une super soirée.
Le lendemain, Julie prépare un petit déjeuner de roi : sandwich jambon œuf et une délicieuse boisson à base d'avoine, d'ananas et de miel. Nous leur disons au-revoir avec émotion ! Après un café avec Pablo sur la place du village, il est temps de se mettre en selle.
Nous décidons d'y aller mollo aujourd'hui et de nous arrêter à Palanda, à une vingtaine de kilomètres. La route est magnifique : sur une piste de terre rouge, nous logeons la montagne avec une vue imprenable sur la cordillère orientale, qui cache l'Amazonie. Sur la route, on croise de temps en temps des nappes couvertes de grains de café qui sèchent. La végétation est magnifique : bananiers, palmiers et autres arbres exotiques… le chant des oiseaux et le glouglous des rivières nous accompagnent. Arrivés à Palandra, Baudouin nous convainc sans peine de pousser jusqu'à la bourgade suivante : la route est facile et sublime, et il n'est que onze heures. Banco !
Sauf que… quinze km plus tard, quand le chemin se met à monter brutalement (raide comme jamais), nous nous apercevons que la bourgade en question était un lieu-dit que nous avons dépassé et que nous filons droit vers Zumba, à une trentaine de kilomètres et beaucoup, beaucoup de dénivelé. Il est un peu tard pour y arriver avant la nuit et nous sommes encore fatigués de la journée de la veille; dans l'idéal, nous voudrions nous arrêter avant. Après une heure de montée, nous faisons une halte devant la maison d'un couple de vieux agriculteurs. Ils nous vendent deux paquets de biscuits que nous dégustons assis par terre, heureux. Une dizaine d'oréos et une papaye fraîche plus tard, nous décidons de pousser un peu plus loin. D'autant que l'enceinte de Pablo, fixée sur son guidon, diffuse des chansons de Santana : motivant !
Nous montons donc encore un petit peu jusqu'à Bellavista, petit hameau perché dans la montagne, aux maisons colorées, où nous avons la permission d'occuper, pour une nuit, la maison communale, sorte de grande salle des fêtes au sol brillant.
Pablo doit rentrer à Loja : en attendant son bus, nous dégustons quelques Mister freeze à l'ombre d'une tienda. Nous sommes tristes de lui dire au-revoir, Pablo est un super compagnon de voyage et nous avons beau mal parler espagnol, on a quand même passé de supers moments avec lui.
Quant à nous, il est l'heure de monter la tente dans la salle communale. La dame de la tienda nous propose de venir nous doucher chez elle. Le soir, nous dinons dans le petit restaurant du village : riz, pâtes, haricots en sauce et côte de porc. La cuisine est ouverte sur le versant de la montagne et le soleil se couche sur les grandes feuilles des bananiers. Sublime…
Mardi 3 août. Il nous reste donc une journée de route jusqu'à Zumba, où Briggette, une amie peintre de Pablo, peut nous indiquer un endroit où planter la tente. La première partie de la route descend, c'est toujours aussi beau. Le long de la route, les restes de gigantesques glissements de terrain… gloups. Arrivés tout en bas de la montagne, au bord de la rivière, nous faisons la route qui monte, qui monte… il va falloir arriver tout en haut de cette autre montagne pour atteindre Zumba. Il est midi et la chaleur est étouffante, moite. Sans compter la faune : une immense tarentule, pattes avant poilues et dressées, que nous avons croisé sur la route (note du relecteur : cette tarentule n'avait pas les pattes dressées puisqu'un 30 tonnes l'avait rendue aussi plate qu'un décalcomanie). Alors nous montons, nous montons dans la poussière, sous un soleil de plomb. Je me décourage plus d'une fois. Une montée finit à peine qu'une autre lui succède, encore plus raide… Après pas mal de psychologie de la part de Baudouin, nous arrivons à Zumba vers 14h, fourbus, en nage, collants et… affamés. Nous trouvons refuge dans l'arrière cour d'un petit restaurant pour engloutir un almuerzo. Ensuite, nous retrouvons Briggette, toute de noir vêtue, le bout de sa longue tresse teinte en rose, un grand sourire aux lèvres. Elle nous emmène à pied près de la maison de ses parents, un petit peu à l'écart de la ville. Ils ont une maison en travaux dans laquelle nous pouvons poser la tente, avec une douche en extérieur, à l'ombre. Il fait plus frais qu'en ville et nous y installons nos affaires. Je brave le cagnard pour aller faire quelques courses en ville (fruits, légumes, saucisses). Nous pensons alors rester à Zumba deux ou trois nuits, toujours dans l'attente de notre autorisation de passer la frontière terrestre avec le Pérou, qui se trouve désormais à seulement 20 kilomètres de nous. Si proche !!
La nuit venue, Briggette nous invite à dîner chez ses parents, à vingt mètres. Poulet rôti, frites, riz… Nous dégustons ce festin avec son frère Jonathan devant la télévision : ils ont choisi Shrek !
Le lendemain au réveil, mauvaise nouvelle : obtenir une autorisation pour passer la frontière par voie terrestre va s'avérer bien plus compliqué que prévu, malgré le dossier que nous avons fourni aux autorités péruviennes. Nous décidons donc de retourner en bus à Loja, chez Pablo, pour tenter quelques démarches et, si elles n'aboutissent pas, nous résoudre à prendre l'avion.
Nous prenons un rapide almuerzo avec Briggette, qui nous fait visiter son atelier de peintre, où elle donne des cours aux enfants. Nous admirons les portraits qu'elle a fait de ses grands parents et ses études de clair-obscur.
Nous ne sommes pas fâchés de quitter Zumba et sa chaleur étouffante, et refaire, en bus, tout le chemin parcouru ces derniers jours, est assez émouvant.
Nous passerons une semaine à Lemon Trip, en attendant notre vol Guayaquil-Lima : il a fallu prendre l'avion, that's life ! Nous en profitons pour nous occuper de nos vélos, travailler un petit peu, nous occuper de nos photos, écrire, profiter de quelques petits cafés à Loja, passer de chouettes moments avec Pablo… mais on doit bien avouer que le vélo nous manque et que nous n'avons qu'une hâte : reprendre la route.