Nous quittons Latacunga et la maison douillette d'Hernan et Alejandra direction Baños, à l'Est, porte de l'Amazonie ! Il nous faudra deux petites journées de vélo pour y parvenir. Nous commençons par suivre une route secondaire, sous un ciel maussade, traversant une succession de petites villes grisâtres, tristes et, sans surprise, dont les rues sont peuplées de chiens qui n'aiment décidément pas les cyclistes. Une odeur d'essence se fait sentir pendant plusieurs kilomètres. Les sacoches de Baudouin sont remplies de plusieurs kilos de fruits achetés au marché… il est furieux, à raison, car la route monte pas mal et, surtout, à mesure que nous nous enfonçons dans la campagne verdoyante, nous nous apercevons que nous sommes dans une zone… terriblement fruitière ! Il y a des marchands d'avocats, de papayes et de fraises tout le long de la route. Oups.
Le paysage est maintenant bucolique à souhait, l'air est plus humide, presque tiède. La jungle n'est pas si loin ! En fin de journée, nous nous arrêtons à la lisière d'une très belle propriété. Un restaurant, une grande allée de cailloux et plusieurs hectares de plantations fruitières avec, en contrebas, le lit d'une rivière qui défile à gros glouglous et, tout autour, la montagne verte. C'est idyllique : la fameuse "heure dorée" du soleil qui décline fait ressortir les grandes feuilles des immenses arbres à avocats, citronniers et autres arbustes qui croulent sous les fruits. Dans cette belle plantation familiale, je me prends pour l'héroïne de "Out of Africa"...
Inès et sa petite-fille Teresa nous indiquent un endroit où nous pouvons planter notre tente. Il y a même des lavabos ! Il va pleuvoir toute la nuit.
Le lendemain, nous nous offrons un petit-déjeuner complet dans le restaurant familial avant d'enfourcher nos vélos direction Baños, que nous aimerions atteindre pour le déjeuner. Nous descendons le long de la rivière, la route est étroite, habillée d'arbres touffus et de fleurs. Ça sent l'eucalyptus, le chèvrefeuille et la rose. A certains moments, de grandes rigoles d'eau et de boue traversent le passage.
Au milieu de la montée qui nous sépare de Baños, un gros 4x4 blanc nous klaxon. C'est Hernan !! Ils ont décidé de passer la journée aux thermes avec Alejandra et sa maman, Charito. Nous nous retrouverons pour le goûter : cheesecake et chocolat chaud à base de cacao pur de l'Amazonie, pour le plus grand bonheur de Baudouin.
Baños est au pied des volcans. La ville est très touristique et propose toute une palette de sports extrêmes (ma passion) : saut à l'élastique ou rafting dans les gorges, via ferrata dans la "cascade du diable" et moultes randonnées. Nous somme dimanche et beaucoup d'Équatoriens ont fait comme Hernan et Alejandra : une virée aux termes! De notre côté, nous déjeunons dans le petit marché central, casant tant bien que mal nos vélos près de nous, et j'ai la mauvaise idée de commander une assiette de tripes caoutchouteuses. Immangeables, même pour une amatrice d'andouillette. Une mère et son fils viennent danser et jouer de la flûte pour se faire un peu d'argent.
Nous jetons notre dévolu sur un petit hostel situé à deux pas des termes de la Vierge, que nous voulons tester dans la journée. Notre critère : le prix bien sûr, et une cuisine commune. Le temps de faire une petite lessive dans le lavabo, de faire sécher la tente et d'aérer nos duvets, nous retrouvons Hernan & co dans un café.
Là, nous rencontrons la maman d'Alejandra. Quelle femme ! Charito a 86 ans. Elle a été professeure de littérature ("la litteratura es la vida !" me glissera-t-elle ensuite en me racontant qu'elle écrit de la poésie et qu'elle a lu tout Zola) et elle descend de l'une des grandes communautés indigènes du pays. Elle porte ainsi en elle un savoir pluri-centenaire : la connaissance des plantes et de plusieurs rituels de guérison chamaniques. Elle parle en espagnol, nous ne comprenons pas tout, Hernan ne traduit pas tout, mais nous passons un super moment : elle nous apprend quelques exercices de respiration, le frottement des mains pour chasser les pensées néfastes et les mauvaises énergies. "Soy un bruja!" (Je suis une sorcière), me confie-t-elle dans un clin d'oeil.
Le soir venu, nous partons tester les fameuses "termes de la Vierge", dont le bâtiment un brin vétuste est collé à la montagne, jouxtant une grande cascade éclairée par un spot assez kitsh qui colore l'eau en violet, bleu ou rose. Nous qui pensions passer une nocturne peinards aux thermes, c'est raté ! Les bassins sont bondés, grouillants d'enfants en brassards.
Pas moyen pour ma part d'entrer dans le bain le plus chaud : on cuit ! Même après avoir fait trempette dans celui d'à côté, glacé !
Nous rentrons en croisant un vendeur de douceurs de la forêt : de grosses larves blanches et dodues qui gigotent mollement dans un panier. Miam !
Le lendemain, nous prenons la route direction Riobamba, à deux jours de vélo, si nous pédalons bien, et un sacré dénivelé. Hélas, notre plan va être contrarié : au bout de quelques kilomètres, un drôle de bruit nous alerte. Ma pédale gauche est quasiment détachée. Arg !!! Après plusieurs essais sur le bord de la route, sacoche à outils vidée sur l'herbe, nous rendons à l'évidence : impossible de continuer à avancer ! La moitié du pas de vis de la pédale a été limé et nous n'arrivons pas à la fixer avec l'autre moitié. Va-t-on devoir changer la pédale ? Va-t-on en trouver une en Équateur ? Allons-nous devoir attendre plusieurs semaines ? Par chance, l'arrêt de bus pour Riobamba n'est qu'à deux kilomètres derrière nous, et ce n'est que de la descente ! Nous faisons demi-tour, hissons les vélos dans la soute et zou, direction la ville pour trouver un réparateur…
Par chance, le premier mécanicien parvient à enlever l'acier du pédalier qui s'était coincé dans le pas de vis restant de la pédale. La voilà refixée. Ouf ! Il est 16h et nous n'allons pas repartir maintenant. Après quelques recherches, nous décidons de passer la nuit à Riobamba, très sympathique ville, qui offre une impression de tranquillité et de douceur de vivre que nous n'avions pas encore rencontrées dans les bourgades que nous avions traversées. Baudouin déniche un petit havre de paix : la "Casa Bonita", auberge de jeunesse installée dans une grande bâtisse coloniale à la façade bleue, avec un patio, de grands escaliers ouvragés et de vieux fauteuils moelleux. Nous faisons un saut dans notre supermarché favori, Aki, pour acheter de quoi cuisiner et prendre un petit apéritif : des Ritz (sorte de Tucs), notre nouveau péché mignon, et une bonne bière.
Le lendemain, nous repartons, via la Panaméricaine, en espérant ne pas croiser trop de poids lourds. Les trois journées qui suivent ne nous font pas regretter notre choix : paysages vertigineux, verdoyants, points de vue assez hallucinants sur les crêtes et les arrêtes de la cordillère. J'ai le tournis en regardant sur le bas côté, qui plonge bien souvent à pic ! Quatre jours de vélo, avec des dénivelés costauds, trois nuits à Guamote, San Pedro de Alausi et Chunchi, les deux derniers villes étant fort jolies. Nous logeons à deux reprises chez les bomberos, les pompiers, qui nous laissent tantôt la cuisine et un bureau vide pour dormir, tantôt - improbable - dans une école de policiers ! Le sergent major nous donne accès à une petite pièce sombre avec deux petits lits aux matelas épais et nous incite même à partager un plat de riz-oeuf-banane dans la cafétéria. Nous sommes le 14 juillet et, à la télévision, les informations équatoriennes montrent des images du défilé parisien, sous la pluie...
La nuit qui suit, nous la passerons dans une bourgade bien moins sympathique : Zhud, un petit village au bord de la Panaméricaine, situé à un point de jonction avec la route qui mène à Guayaquil. Les poids lourds s'y arrêtent quelques heures, des cochons pendent à la devanture des restaurants d'une propreté plus que douteuse et il pleut. Nous arrivons trempés. Au commissariat, on nous dit de nous installer au premier étage d'une maison en chantier, ouverte aux quatre vents. Nous montons la tente sur un parquet couvert de sciure, grignotons un morceau de poulet et des frites éclairés par nos lampes frontales et nous endormons peu sereins, en rêvant d'une douche et en espérant ne pas avoir de visite dans la nuit…
Le lendemain, nous sautons dans nos vêtements humides, avalons un desayunos pour profiter des toilettes et du lavabo et filons direction Azogues, dernière étape avant Cuenca, où nous comptons bien rester quelques jours.
Le soir, nous nous offrons le luxe d'un hôtel ! Il est tard, la journée a été longue et nous trouvons un hôtel étonnant, tenu par un fan absolu de… Che Guevara ! Le personnel est habillé en treillis militaire et casquette étoilée, les murs sont recouverts de portraits du Che, de coupures de presse et d'image d'archives. Dans la bibliothèque, "Le Capital" de Marx et des écrits de Fidel Castro. Ce qui n'empêche pas l'endroit de pratiquer des prix plus chers que ce que nous avons payés jusqu'à présent...
Nous allons dîner à quelques pas : un gros hot-dog avec une longue saucisse rose fluo et des frites nappées de mayonnaise livide. Le tout, face à une télévision qui braille. Le décor ne fait pas rêver… mais nous sommes très contents !
D'autant que le lendemain, seule une demi-journée de vélo nous sépare de Cuenca, ville dont on a entendu beaucoup de bien et que nous avons grand hâte de découvrir…