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Volcans, lagune et poussière : deuxième semaine en Équateur

Il est peu de dire que le samedi 3 juillet, lorsque Gustavo nous dépose, nous et notre barda, à la lisière de Sangolqui sur les coups de midi, nous avons le ventre noué… On peut même dire le trac ! Ça y est, l'aventure va commencer. Nous commençons par un almuerzo copieux pour nous donner du courage et c'est parti : sous un soleil de plomb, nous attaquons une première côte. La première d'une longue série… jusqu'au soir ! 

Nous visons, pour notre première nuit de bivouac, l'entrée du parc national du volcan Cotopaxi, quelque 800 mètres plus haut. Pour une première journée et avec notre peu d'entraînement, c'est rude ! Suzanne descend de vélo et se décourage au milieu d'une montée corsée, puis nous prenons notre rythme, lentement mais sûrement. Malheureusement, le revêtement de la route est atroce : des petits pavés irréguliers qui nous mènent la vie dure, en alternance avec de gros cailloux pointus. Heureusement, pas de crevaison en vue. 

Le paysage, lui, est doux et verdoyant, tout en bocages. Nous avançons en silence, rêvassant et laissant notre imagination vagabonder. C'est aussi ça, le plaisir du vélo !

Le long du chemin, de grands arbres, des massifs de fleurs, des chevaux et des haras où des familles sont réunies pour boire des jus de fruits et faire griller des saucisses. Nous visons un premier camping, qui s'avère être… hors de prix ! Déception. On nous souffle que 4 ou 5 kilomètres plus loin, il y a une belle esplanade pour planter la "carpa", avec un panorama qui vaut le détour. Nous reprenons la route fatigués, le mollet peu vaillant… Et peu sûr de cette indication. Des cyclotouristes nous ont prévenus : 4 ou 5 km dans la bouche d'un conducteur peut facilement se transformer en 10 km pour nos gambettes ! Quand un énième truck blanc et vert nous passe sous le nez, nous le hélons pour qu'il nous transporte, nous et nos vélos, pour les deux derniers kilomètres. 

Le vent s'est levé et il fait très froid. Nous demandons au propriétaire du petit restaurant s'il est possible de manger un bout chez lui mais, avant, de planter notre tente sur son terrain, qui est immense. C'est oui ! Les chiens, qui nous ont accueillis en aboyant toutes dents dehors, nous font désormais la fête. Baudouin avale une sorte de steak de poulet accompagné de grosses frites pâles et je tente de manger la triste assiette que j'ai malheureusement commandée : un épi de maïs blanc comme neige, un monticule de gros haricots et une tranche de fromage insipide.

Le lendemain, nous replions la tente à l'aube, sous un grand soleil, mais bien emmitouflés. Déjà, nous apercevons le majestueux volcan Cotopaxi. Du blanc, du gris, du rouge, du vert... Que c'est beau ! 

Après quelques petits kilomètres de pédalage, nous nous arrêtons dans une petite maison en bois d'où résonne un fond de salsa entraînant et une forte odeur de friture. Pour nous, ce sera deux cafés et une corbeille d'empanadas au "queso" ruisselants d'huile. Miam ! 

Les kilomètres s'enchaînent, dans la poussière du chemin, sous le vent, avec une vue incroyable : le majestueux Cotopaxi, ses cousins les autres volcans, qui se dressent au loin, et des plaines vertes et jaunes à perte de vue. Quelques touristes se promènent à cheval, l'air plus ou moins à l'aise, entourés par des guides en poncho et chapeaux de cow-boy.

Nous sommes de temps à autre doublés par quelques 4×4 et motocross qui nous plongent dans un nuage de poussière. Un guide équatorien qui parle un français parfait, José-Luis, nous arrête pour nous demander d'où nous venons et où nous allons, ainsi chargés. Il nous offre du pain, de la Vache qui rit et du roasted beef à l'arrière de son van et nous raconte avec émotion ses apéros gargantuesques en France : "L'apéro, je croyais que c'était le repas !! Et trois heures à table, vous êtes dingues !". 

Le midi, nous faisons halte dans la petite auberge du camping du parc, la truffe pleine de poussière, avec une faim de loup. A table, nous rencontrons une personne qui va devenir très importante pour nous en début de voyage : Hernan. Il est à la fois Équatorien et Américain et sa gentillesse et sa bonne humeur nous touchent tout de suite. C'est qui plus est un fou de vélo ! Il vient ici chaque dimanche et monte jusqu'à son endroit secret : une petite source d'eau rouge qu'il a découvert au fil de ses pérégrinations dominicales. Là, il dépose son vélo, se baigne, seul au monde, puis redescend manger une soupe à la pomme de terre et au quinoa. Il nous fait goûter les délicieux biscuits à la citrouille qu'il a dans son sac, vide sa gourde pleine d'eau de coco dans nos verres, nous donne son numéro et nous fait promettre de le contacter et de séjourner chez lui si nous passons par Latacunga. A suivre… 

La soirée est douce et nous plantons la tente dans l'herbe tendre, sous les arbres, face au Cotopaxi tout rouge du soleil couchant, en tentant tant bien que mal de nous débarbouiller dans les toilettes en piteux état. Une bien belle journée qui se termine face au réchaud, avec une copieuse casserole de pâtes au bouillon Maggie, recette qui va devenir un classique.

Le lendemain matin, quel froid, brrr ! Plus de deux heures après s'être levés, tout engourdis par la température (il a gelé cette nuit, deux biches se promènent près de la tente), nous prenons la route. Quelle descente ! Nous retrouvons le bitume avec joie, et dévalons la route à toute allure, au milieu des grands sapins et des volcans qui se succèdent au loin. Le paysage a un petit air de Rocheuses canadiennes… 

Nous franchissons la Panaméricaine vers midi (nous voulons absolument l'éviter) et montons à nouveau vers les vertes montagnes. Autour de nous un relief incroyable, des champs à perte de vue, parfois cultivés quasi verticalement, à flanc de montagne… Les champs de quinoa, rouge profond, nous tapent dans l'œil. Vers 17h, alors que nous commençons à nous demander où nous allons dormir, les chiens sont de plus en plus nombreux à aboyer furieusement sur notre passage et nous décidons de frapper à la porte d'une auberge déserte. Patricia et ses deux enfants, Pedro et Victoria, nous accueillent et nous proposent de dormir dans la salle à manger. Ce n'est pas de refus ! 

Elle est institutrice à Quito et son mari est restaurateur. Ils ont été confinés ici, dans le (tout) petit village de San Francisco. Baudouin, qui a apporté ses petites balles en mousse rouge, fait un tour de magie aux enfants. Après un bon dîner, nous nous étalons dans la salle, sortons les duvets et les matelas. Patricia, qui doit se rendre au conseil municipal, nous fait chauffer une bassine d'eau avant de filer : nous pouvons enfin nous laver les cheveux. Joie ! A condition d'être accroupi la tête dans le baquet. 

Le lendemain, mardi, après un desayuno de géant (poulet, patates, oeufs…), direction Sigchos, ville haut perchée. On descend, puis on monte sec. Les Andes quoi. Nous arrivons dans la ville sur les coups de midi. Elle est déserte, un tantinet glauque (juste des chiens, encore et toujours), aussi nous décidons de pousser plus loin, direction Chugchilan, à 25 km. 

Nous ferons une halte dans une petite épicerie de bord de route, achèterons du thon et des œufs pour pique-niquer dans un bout de jardin qu'une famille nous laisse volontiers squatter, près des poules, au milieu des crottes de chèvre. 

Nous sommes fourbus quand nous atteignons Chugchilan, en fin de journée. On décide de passer la nuit au Forest Cloud Lodge, pension familiale douillette tenue par José et Patricia, fine cuisinière. Le soir, à table, la famille regarde le feuilleton à la mode (sorte de "Plus belle la vie" équatorienne) et nous nous régalons d'une divine soupe aux légumes du jardin et d'un grand plat de pâtes. José papote avec nous : pour gagner la lagune du Quilotoa, notre objectif du lendemain, il nous conseille de ne pas suivre la route, mais un autre itinéraire, habituellement réservé aux randonneurs. Il attrape une petite carte et griffonne quelques indications dessus. Nous allons nous coucher dans le lit recouvert de plaids fluos : c'est décidé, demain nous suivrons le conseil de José. Laissez-moi vous dire que nous allons en baver… 

Une belle assiette de fruits exotiques au petit-déjeuner! Joie ! Je me jette dessus tandis que Baudouin la toise, la mine blême. Il reprend des couleurs quand arrivent les œufs et les saucisses. 

On enfourche nos vélos, on passe l'église, la bibliothèque sur la gauche et zou, on descend le petit chemin de terre indiqué par José. On dévale, les mains crispées sur les freins. Le soleil tape. Tiens, le petit chien de l'hôtel nous suit ! Après pas mal de descente au milieu des herbes folles, Baudouin, son téléphone à la main et sa chère application Osmand sous les yeux, me prévient : "ça va faire mal."

S'en suivent plusieurs heures de montée dans le sable et les cailloux, sous la cagnasse. C'est dur… on tente le raccourci indiqué, au milieu des grandes fleurs et des broussailles : impossible ! Ça monte trop, la végétation est trop dense, on ne peut même pas pousser nos vélos. On rebrousse chemin et on reprend la petite route de terre. Quelle ascension ! Le petit chien nous suit toujours et nous lui jetons un oeil noir lorsqu'il se cache quand d'autres chiens nous courrent après… Poltron ! 

On se décourage plus d'une fois. Mais il faut continuer, monter… Passer la Moya alta, le lieu-dit indiqué par José. Nous reprenons notre souffle et une gorgée de coca tiède, un âne passe en trottant, suivi d'un scooter chargé de fagots de foin. 

Enfin, nous atteignons la route. Nous nous arrêtons à l'arrêt de bus. Un autocar aussi. Une femme en tenue andine traditionnelle (longue natte, chapeau de feutre, pull rose ou rouge, jupe, collants de laine blanc) descend, perchée sur de hauts escarpins, les bras pleins d'épis de mais. Improbable ! Pas de bus pour nous mais encore quelques kilomètres comprenant une belle descente et une montée d'un peu moins d'un kilomètre. Certes, nous avons retrouvé l'asphalte, mais le paysage est désertique et la fatigue commence à se faire sentir. Nous poussons les vélos. Tous les dix mètres, je m'arrête pour reprendre ma respiration. Que c'est lourd ! Moi qui pédalais en pleine forme la veille, je n'en mène pas large. A un endroit, la route est carrément éventrée, donnant sur… le vide. La conséquence d'un tremblement de terre ? 

Nous mettrons plus d'une heure à vaincre cette dernière montée. Quelle journée ! Arrivés à Quilotoa, nous discutons quelques minutes avec un couple de Polonais qui attend le bus, puis pénetrons dans la bourgade venteuse. Il est 17h, le froid arrive, le jour commence à décliner. Direction le mirador pour admirer, tout de même, la vue sur la lagune : le cratère d'un volcan éteint rempli d'eau. Nous sommes à quasiment 4000m d'altitude. 

Nous installons la tente sur le petit terrain de volley municipal : il faut savoir que le sport national ici, c'est l'ecuavolley ! Le petit chien qui nous a suivi toute la journée est toujours avec nous. Nous n'avons que quelques dollars en poche jusqu'au lendemain soir. Pour dîner, ce sera un paquet de nouilles chinoises et deux œufs. Bombance ! Nous partageons avec le chien qui est affamé. À quelques mètres, deux lamas aux allures de grosses peluches nous observent, machonnant des touffes d'herbe - note de Baudouin : non, ils ne nous observent absolument pas, ils sont complètement indifférents !

Un autre chien rapplique et une dame qui passe nous met en garde : ils n'hésitent pas à vous attraper la main si vous avez de la nourriture dedans ! 

Baudouin fait chauffer de l'eau et, ingénieur dans l'âme, met au point un astucieux système avec la toile de tente pour que nous puissions nous doucher intégralement, chacun notre tour. Appréciable ! 

En nous couchant, nous constaterons que "notre" chien, ayant peur de ses congénères voraces, se love douillettement sous l'abside de notre tente. Nous ne vous parlerons pas des bagarres des chiens en milieu de nuit autour de la tente, secouée au gré des pattes dans les sardines... 

La journée qui suit, le jeudi, sera plus calme. Nous descendons jusqu'à Zumbaya, laissant le petit chien à sa sieste. Encore une fois, le paysage est très rural, avec des scènes aux champs dignes de Van Gogh avec une touche andine. Maisonnettes en torchis, au toit de paille ou de chaume, charrettes remplies d'herbes rassemblées en fagots, cochons qui fouillent la terre avec leur groin sur le bord de la route et, encore et toujours, des chiens qui braillent quand nous passons… 

Après un petit almuerzo avalé sur un marché local (et la sainte trinité riz-poulet-patates) nous sautons dans un grand bus bleu direction Latacunga. Nous avons accepté l'hospitalité d'Hernan, qui nous attend chez lui en fin de journée. Un peu de repos en perspective ne fera pas de mal.

Chez Hernan et Alejandra, où nous allons rester deux nuits, il est peu de dire que nous sommes bichonnés : ils adorent cuisiner et Hernan a une passion pour les produits fermentés. Leur cuisine, où règne un joyeux désordre, est pleine de légumes, de fruits, et de grands bocaux où fermentent kéfirs, kombucha à différentes saveurs, chou et piments. Chaque repas est un festival ! Baudouin se retrouve à devoir avaler, au petit-déjeuner, plus de fruits qu'il en a sûrement mangé dans l'année. 

Ils nous emmènent au marché dans leur grand 4x4 blanc, nous font découvrir des tas de fruits qu'on ne connaît pas et déguster de l'eau de coco. 

Hernan et Alejandra ont également fait construire, il y a quelques années, une école primaire en bambou, à l'extérieur de la ville. Nous visitons l'école déserte - avec la pandémie et les grandes vacances, les salles de classe sont délaissées depuis belle lurette. Hernan espère voir les enfants revenir en septembre. 

Le deuxième et dernier soir, nous nous mettons aux fourneaux, et Baudouin prévoit de cuisiner l'une de ses spécialités : des crêpes. Or, Hernan, qui fuit le gluten comme la peste, le convainc de troquer la farine de blé pour de la farine de riz. Résultat : les crêpes ressemblent à des briques poudreuses et sont… immangeables. Beau fou rire dans la cuisine, sous l'œil courroucé de Baudouin. La cuisine française en a pris en coup ! 

Le lendemain, après un petit déjeuner de roi, Alejandra nous glisse plusieurs sachets de tisanes et de plantes mystérieuses dans les sacoches et nous serre dans ses bras. Nous nous promettons de nous revoir en France lorsqu'il voyageront en Europe. Hernan, lui, nous accompagne, à vélo, pendant les premiers kilomètres. 

La troisième semaine en Équateur, soit notre deuxième semaine à vélo, peut commencer. Et laissez moi vous dire qu'il va y avoir des rebondissements…